Le site d’informations Jeune Afrique a rapporté que lors du panel de clôture de l’Africa Financial Industry Summit (AFIS) qui s’est déroulé les 15 et 16 novembre 2023 à Lomé, M. Jean-Claude Kassi Brou aurait déclaré : « Nous sommes dans cette dynamique, ce sera l’aboutissement : une monnaie unique avec une banque centrale unique ». Ce monsieur est l’actuel gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Les défenseurs de la mise en place d'une monnaie unique africaine depuis les indépendances africaines sont nombreux. Ils proviennent de tous les horizons, qu'il s'agisse de gouvernements, d'organisations internationales, d'universitaires ou de simples citoyens. L'ancien président du Ghana, Kwame Nkrumah, a été l'un des premiers défenseurs de la monnaie unique africaine. Il a plaidé pour la création d'une "pan-african currency" dès les années 1960. L'ancien président du Mali, Modibo Keita, a également été un fervent défenseur de la monnaie unique africaine. Il a participé à la création de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en 1975, qui prévoyait la création d'une monnaie unique. En 2003, l'Union africaine (UA) a adopté une résolution visant à créer une monnaie unique africaine d'ici à 2023 (2023 tire à sa fin mais il n’y a rien de tel). L'ancien président de l'Afrique du Sud, Thabo Mbeki, a également soutenu la création d'une monnaie unique africaine. Il a présidé le comité de haut niveau sur l'intégration économique et monétaire de l'UA, qui a publié un rapport en 2012 préconisant la création d'une monnaie unique africaine. Lors de son premier discours dans le cadre du 22ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) à Lusaka, en Zambie, le président du Kenya, William Ruto, a appelé à l'introduction d'une monnaie unique africaine.
L’enthousiasme à l’égard d’une union monétaire africaine tient essentiellement à deux facteurs. Premièrement, la mise en place d’une monnaie unique symboliserait l’unité africaine. L’on réaliserait ainsi le rêve du panafricanisme (même au mépris des considérations économiques élémentaires). Deuxièmement, le lancement de l’euro a suscité un regain d’intérêt pour les unions monétaires dans les autres régions, dont l’Afrique.
La mise en place d'une monnaie unique africaine aura indiscutablement deux avantages :
Une plus grande fluidité des échanges commerciaux : les entreprises et les consommateurs n'auraient plus à convertir leurs monnaies, ce qui simplifierait les transactions commerciales et les rendrait moins coûteuses.
Une réduction des coûts de transaction : les frais de change seraient supprimés, ce qui permettrait aux entreprises de réaliser des économies.
Mais, dans la sphère économique, il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit, ce sont les avantages suscités. Ce qu’on ne voit pas ce sont les funestes conséquences ultérieures qui n’apparaissent pas en même temps que la cause qui les engendre. Essayons de démontrer, de deux façons, l’incongruité de l’idée de monnaie unique africaine.
La première façon (très peu commune) est d’examiner la question de la monnaie à la lumière des enseignements du Christ. Il est une dimension de la monnaie, souvent oubliée mais essentielle, qui a été révélée par le Christ.
Dans le Chapitre 20 de Luc, on lit que des gens qui feignaient d'être justes ont voulu tendre un piège au Christ. Voici le récit.
“Maître, nous savons que tu parles et enseignes droitement, et que tu ne regardes pas à l'apparence, mais que tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité. Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? Jésus, apercevant leur ruse, leur répondit : Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l'effigie et l'inscription ? De César, répondirent-ils. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”.
Le Christ, ici, révèle la dimension étatique de la monnaie en demandant aux personnes mal intentionnées : qui apparaît sur le denier. La réponse : César. La monnaie c’est César, dit autrement, c’est l’Etat et donc c’est la nation. Ce que le Christ nous révèle c’est que la monnaie doit être adossée à une nation - une nation étant une volonté de vivre ensemble. En clair, le Christ dit que sans nation, une monnaie n’est pas viable. L’historien Fernand Braudel souligne dans son livre L'Identité de la France que : "Au Prince, il a fallu conquérir la monnaie comme il a conquis les provinces qui ont agrandi son royaume ; il en a surveillé les frappes, fixé la valeur, contrôlé la diffusion. La monnaie du roi a fait le roi." En rappelant ce fait historique, il prouve l’importance de l’enseignement du Christ à propos de la monnaie.
En revenant au sujet qui nous préoccupe, la question est la suivante : l’Afrique est-elle une nation ? La réponse est : NON. Donc, l’idée de la monnaie unique africaine est une imbécilité.
La deuxième façon d’examiner la question de la monnaie unique africaine est de mobiliser la théorie économique. En économie, une zone monétaire optimale (ZMO) est une région géographique dans laquelle il serait bénéfique d'établir une monnaie unique. La théorie originelle des zones monétaires optimales (ZMO) établie par Robert Mundell (1961) enseigne que l'optimalité d’une zone monétaire est définie via un certain nombre de critères, à savoir une forte intégration commerciale, une mobilité géographique des facteurs de production entre les régions, la prédominance des chocs symétriques et l'existence de mécanismes d'ajustement face aux chocs asymétriques. Concernant le premier critère (intégration commerciale), l’Afrique est bien en retard. Le commerce intra-africain ne représente que 17% du commerce total du continent. Quant au deuxième critère, la mobilité de la main-d'œuvre n’est pas voulue par les Etats africains. L’Union africaine, reconnaissant l’importance des compétences des ressources humaines pour le développement du continent, a adopté le Protocole sur la libre circulation des personnes en 2018. A votre avis, combien de pays l’ont ratifié ? La réponse est … 4 pays seulement ! En ce qui concerne le troisième critère, le continent africain est composé d’économies très hétérogènes. En effet, sur le plan économique, il existe quatre Afriques : l’Afrique des pays exportateurs de matières premières (Nigéria, Algérie, Angola, etc.) qui regroupe 14 pays sur 54, l’Afrique des pays relativement diversifiés (l’Ile Maurice, le Maroc, la Tunisie, etc.) qui regroupe 11 pays sur 54, l’Afrique des pays en transition (Sénégal, Côte d’ivoire, Ghana, etc.) qui regroupe 10 pays sur 54 et l’Afrique des pays en prétransition (Mali, Guinée, RDC, etc.) qui regroupe 19 pays sur 54. La divergence des chocs est si importante entre les économies africaines que les coûts d’une union monétaire africaine risqueraient d’être plus importants que les bénéfices. De plus, il n’existe pas de mécanismes d'ajustement face aux chocs asymétriques.
Toutefois, l’on pourrait décider de faire une union monétaire africaine au mépris des règles de l’économie. Il ne fait pas doute que cela se terminera comme les nombreuses unions monétaires qui se sont effondrées dans l’histoire. Quelques rappels historiques : l'union monétaire des États du Rhin, créée en 1834 par les États allemands du Rhin et de la Bavière, a été dissoute en 1871 avec la création de l'Empire allemand. Les États membres de l'union monétaire des États du Rhin avaient des économies différentes, ce qui a rendu difficile la coordination des politiques économiques. L'union latine a été créée en 1865 par la France, l'Italie, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg. Elle a été dissoute en 1927 avec la crise économique mondiale. La zone sterling, créée en 1925 par le Royaume-Uni, a été dissoute en 1971 avec la fin du système de Bretton Woods. L'union monétaire des États arabes a été créée en 1976 par huit pays arabes. Elle a été dissoute en 1990 avec la guerre du Golfe. Me vient à l’esprit le verset 1 du Psaume 127 : “Si l'Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain”.
L'histoire des zones monétaires montre qu'elles sont fragiles et peuvent facilement exploser. Une union monétaire africaine serait comme une religion sans l’idée de l’Enfer : ça ne peut pas fonctionner !
Par ailleurs, l’Euro soulève des inquiétudes en Europe actuellement. Car (1) les pays de la zone euro ont la même monnaie : l’euro (2) la productivité du travail est différente d’un pays à un autre de la zone euro (3) par conséquent, le capital productif va dans le pays ayant la plus forte productivité, en l'occurrence l’Allemagne au détriment des autres pays, qui eux, se désindustrialisent. De deux choses l’une : soit les pays de la zone euro se constituent en nation c’est-à-dire en Etat fédéral pour sauver l’euro soit l’euro disparaîtra. Il n’y a pas de troisième voie ! Cette conclusion est valable pour l’Afrique aussi. La monnaie unique africaine sera possible si et seulement si il existe un Etat fédéral africain regroupant les 54 pays. Quant à la possibilité de réalisation de l'État fédéral africain, je ne mettrai pas le dernier dollar de mon épargne, tant les différences socio-culturelles sont immenses.