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Jésus, l'économiste oublié

Cornelis Cort (1533-1578), La parabole des ouvriers de la vigne (1563, gravure, 25 x 29 cm), Philadelphia Museum of Art (États-Unis). Domaine public.

Ayant fait (entre autres) des études de science économique, j’ai été amené à étudier les auteurs importants de cette discipline, à savoir Adam Smith, Frédéric Bastiat, David Ricardo, Keynes, Ludwig von Mises, Hayek, Léon Walras, et bien d’autres. La lecture de chacun de ces auteurs m’a permis d’approfondir ma compréhension des phénomènes économiques. Par ailleurs, je suis chrétien et donc je lis la Bible. À chaque fois que je lis la Bible, notamment les paroles du Christ dans le Nouveau Testament, je ne manque pas d’être surpris par la justesse des propos de Jésus sur le plan économique. Outre la Foi qu’ils engendrent, les Évangiles cristallisent Sagesse et Pertinence. Qu’il me soit donc permis de faire référence aux textes évangéliques dans les prochaines lignes.

L’atome de tout système économique, c'est la transaction. Sans transaction/échange, il n’y a pas d’économie. Pendant tout processus d’échange, une série de valeurs se détermine. Donc, nous allons nous intéresser à ce que le Christ pense de la notion de valeur (valeur entendue dans son sens le plus restreint : prix).

Jésus et la théorie de la valeur

La question centrale en science économique est la suivante: Qu’est-ce qui fonde le prix des choses ? Cette question a eu plusieurs réponses dans l’histoire de la pensée économique. Curieusement, le Christ a donné une réponse très claire à cette question à travers la parabole des ouvriers de la onzième heure.

Ci-après, le texte de Matthieu Chapitre 20, Versets 1 à 15

En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.

Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne.

Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.

Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.”

Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.

Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?”

Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.”

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.”

Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier.

Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.

En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine :

“Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !”

Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?

Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :

n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” 

 

Bon nombre de Chrétiens, après avoir lu ce texte, se disent : Pourquoi le Christ donne à voir un Dieu injuste ? En effet, le fait que le maître rémunère de la même façon les ouvriers de la première heure et ceux de la dernière heure peut paraître injuste. Ceux qui trouvent cela injuste ont inconsciemment intégré la première réponse dans l'histoire de la pensée économique à la question centrale de l’économie susmentionnée : la valeur travail. Dans l’esprit d’Adam Smith, de David Ricardo et de tous les économistes classiques, la valeur est égale à la somme de la valeur des produits et services entrant dans le produit fini :  c’est la valeur travail. Mais cette théorie de la valeur n’a pas permis d’expliquer le paradoxe de l’eau et du diamant : l’eau est indispensable à la survie du genre humain mais ne coûte presque rien et le diamant qui n’est pas nécessaire à la survie de l’être humain mais coûte une fortune. Ce paradoxe va tarauder l’esprit des économistes du 18ème et 19ème siècle. C’est de l’explication de ce paradoxe que naît la théorie de l’utilité marginale développée simultanément mais indépendamment par trois économistes – William Jevons, Carl Menger en 1871 et Léon Walras en 1874. L'utilité marginale d'un bien ou d'un service est l'utilité qu'un agent économique tirera de la consommation d'une unité supplémentaire. Et c’est exactement ce que fait le maître dans la parabole du Christ. Du point de vue du maître, la question n’est pas combien coûte un ouvrier supplémentaire mais bien combien un ouvrier supplémentaire rapporte. Les premiers ouvriers ont passé un contrat avec le maître pour être payés un denier. A ce moment-là, le maître pense faire une bonne affaire ainsi que les ouvriers qui ont accepté librement de faire le job. Maintenant, imaginons que le prix du raisin a été multiplié par 2 par exemple entre la première et la troisième heure. Dans cette situation, le maître est obligé de se débrouiller pour cueillir plus de raisins soit de faire appel à d’autres ouvriers. Même s’il les paye un denier, l’opération reste rentable. Et si le prix monte encore entre la troisième et la onzième heure, le maître doit refaire l’opération. L’on voit clairement la leçon économique : la valeur de l’ouvrier est déterminée par son utilité marginale.  Le marginalisme que les économistes ont fondé à partir de 1871 était déjà évoqué le plus clairement possible par Jésus.   

 

Jésus à propos de la prise de risque (l’entrepreneuriat)

 

En sciences économiques, il est établi (notamment par Schumpeter)  que l’entrepreneur est le personnage principal de l’économie à travers le phénomène de la destruction créatrice. Jésus avait aussi mis l’accent sur la prise de risque comme attitude indispensable dans la parabole des talents. 

 

Ci-après, le texte de Matthieu Chapitre 25 versets 14 à 30

 

Il en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs, et leur remit ses biens. Il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla, les fit valoir, et il gagna cinq autres talents. De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres. Celui qui n’en avait reçu qu’un alla faire un creux dans la terre, et cacha l’argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte. Celui qui avait reçu les cinq talents s’approcha, en apportant cinq autres talents, et il dit: Seigneur, tu m’as remis cinq talents; voici, j’en ai gagné cinq autres. Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître. Celui qui avait reçu les deux talents s’approcha aussi, et il dit: Seigneur, tu m’as remis deux talents; voici, j’en ai gagné deux autres. Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître. Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite, et il dit: Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n’as pas semé, et qui amasses où tu n’as pas vanné; j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre; voici, prends ce qui est à toi. Son maître lui répondit: Serviteur méchant et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que j’amasse où je n’ai pas vanné; il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt. Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

 

 

Le maître, en confiant une épargne de huit talents d’argent à ses serviteurs, valide une notion essentielle en économie : le droit de propriété. Plusieurs travaux empiriques ont démontré en quoi un système juridique de droit de propriété favorise la croissance économique.  Le serviteur qui n'a reçu qu'un seul talent a décidé de renoncer à l'opportunité de créer un avantage économique en enterrant le talent qui lui avait été confié. Le maître s'est donc fâché contre lui à cause du coût de l'opportunité perdue (tiens, coût d’opportunité ! encore une notion essentielle en économie introduite dans les paraboles du Christ). De plus, le maître, en faisant une distribution suivant les capacités de ses serviteurs, valide l’idée selon laquelle, comme le capital est par définition rare, il faut qu’il aille à celui qui peut le fructifier le plus possible. L’autre grande leçon que délivre cette parabole est : la prise de risque est indispensable pour avoir de la croissance économique. Ceci corrobore l’insigne rôle de l’entrepreneur dans une économie (les deux bons serviteurs dans la parabole des Talents). Celui qui ne prend pas de risque (appelons-le, improprement, rentier) dans les Evangiles est toujours envoyé en enfer (le mauvais serviteur dans la parabole des Talents). Dit autrement, le Christ nous dit que, pour qu’une économie fonctionne bien, il faut qu’elle favorise l’entrepreneur par rapport au rentier. Rien de bien illogique ! A la question, qui crée des emplois et de la richesse dans une économie, la réponse a toujours été : l’entrepreneur. 

 

Jésus et la monnaie

 

La théorie économique nous enseigne que la monnaie a trois fonctions. Intermédiaire des échanges, la monnaie rend possible des échanges qui seraient beaucoup trop complexes avec le simple troc. Réserve de valeur, elle permet l’épargne, c'est-à-dire l’accumulation de capital. Unité de compte, elle permet de se rendre compte de la valeur relative des biens. C’est à l’aune de ces trois fonctions, que les monnaies sont jugées. Mais, il est une dimension de la monnaie, souvent oubliée mais essentielle, qui a été révélée par le Christ. 

 

Dans le Chapitre 20 de Luc, on lit que des gens qui feignaient d'être justes ont voulu tendre un piège au Christ. Voici le récit.

Maître, nous savons que tu parles et enseignes droitement, et que tu ne regardes pas à l'apparence, mais que tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité. Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César? Jésus, apercevant leur ruse, leur répondit: Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l'effigie et l'inscription? De César, répondirent-ils. Alors il leur dit: Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”.

 

Ce texte est admirable de précision. Le Christ y révèle la dimension étatique de la monnaie en demandant aux personnes mal intentionnées : qui apparaît sur le denier. La réponse : César. La monnaie c’est César, dit autrement, c’est l’Etat et donc c’est la nation. Ce que le Christ nous révèle c’est que la monnaie doit être adossée à une nation - une nation étant une volonté de vivre ensemble. En clair, le Christ dit que sans nation, une monnaie n’est pas viable. D’ailleurs, cette dimension de la monnaie est la justification en dernière analyse de la théorie de la zone monétaire optimale en économie. Car, quand des nations différentes adoptent la même monnaie, il faut faire en sorte que l’ensemble de ces nations soit une “nation”. C’est ainsi que l'optimalité d’une zone monétaire est définie via un certain nombre de critères à savoir une forte intégration commerciale, une mobilité géographique des facteurs de production entre les régions, la prédominance des chocs symétriques et l'existence de mécanismes d'ajustement face aux chocs asymétriques. Encore une fois, le Christ avait tout compris avant tout le monde ! Bien qu’il existe quelques monnaies privées, la monnaie a presque toujours été, historiquement, associée à l’Etat. C’est pour ça d’ailleurs que les particuliers usurpant le droit souverain de frapper monnaie pour l’appât du gain se sont toujours vu infliger un traitement sévère. 

 

 

Tout le développement ci-dessus n’est aucunement une tentative de ma part d’envahir de terrain des théologiens. Loin de là. Je n’en ai pas la compétence de toute façon. Ce billet est juste le résultat de mon étonnement, en tant que chrétien et économiste, à chaque fois que je lis les Évangiles.

 

 

 

 

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