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Zone Franc : l’imminente érosion du pouvoir d’achat

Zone Franc : l’imminente érosion du pouvoir d’achat

Depuis des décennies, le Franc CFA repose sur une parité fixe avec l’euro, symbole de stabilité pour les économies africaines de la zone franc. Cependant, cette stabilité pourrait bientôt devenir un piège. Alors que l’Europe traverse une tempête économique et politique sans précédent, les perspectives pour l’euro, et par extension le Franc CFA, s’assombrissent. Le continent africain, qui repose sur cet arrimage pour maintenir une certaine discipline monétaire, risque de voir cette relation devenir un fardeau.

 

Les États-Unis, leader incontesté de l’ordre mondial depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, voient dans l’ascension de la Chine une menace à leur hégémonie économique, militaire et idéologique. Mais, en même temps, il existe une communalité d’intérêts entre la Chine et les États-Unis forte de 700 milliards de dollars d’échanges commerciaux annuels. Dans cette configuration précise, l'Europe deviendrait le théâtre d'affrontements par procuration entre la Chine et les États-Unis. On assisterait à la “yéménisation de l'Europe”, pour parler comme l’essayiste David Baverez. J’exagère à peine. 

 

Pour la première fois dans l'histoire moderne, l'Allemagne et la France traversent simultanément une période d'instabilité politique majeure. L'Allemagne, moteur traditionnel de l'économie européenne, voit sa coalition gouvernementale fragilisée par des dissensions internes, tandis que la France fait face à une impasse parlementaire qui paralyse les réformes nécessaires. L’histoire de l’Union européenne est celle d’une symphonie menée tantôt par Berlin, tantôt par Paris. Pourtant, ces deux capitales, piliers de la construction européenne, sont prises dans un vide politique simultané. L’Allemagne, longtemps qualifiée de "locomotive de l’Europe", est aujourd’hui confrontée à des défis économiques et industriels qui érodent sa stature. Sa dépendance à l’industrie automobile, qui représente près de 7% de son PIB et plus de 10% de ses exportations, se heurte à une concurrence redoutable de la Chine et du Japon. La part de marché mondiale de l'industrie automobile européenne est passée de 33% en 2000 à 21% en 2024.  L’Allemagne est aussi embourbée dans une transition énergétique coûteuse, mal orchestrée, et vulnérable aux fluctuations des prix du gaz. Depuis la guerre en Ukraine, la perte d’accès au gaz russe à bas prix a fragilisé son modèle industriel, entraînant une hausse des coûts de production. En 2023, l’Allemagne a enregistré une croissance anémique de 0,2%, marquant son entrée dans une phase de stagnation. Pendant ce temps, la France est aux prises avec une crise budgétaire croissante. Son déficit public avoisinait les 4,8% du PIB en 2023, un chiffre bien au-delà des critères de Maastricht. Sa dette publique, atteignant 112% du PIB, limite sa capacité à intervenir efficacement pour stimuler l’économie ou financer des projets structurants. Ce contexte est exacerbé par une instabilité sociale récurrente, avec des mouvements de protestation qui paralysent périodiquement l’économie.

 

En parallèle, la concurrence asiatique s’intensifie. La montée en puissance de la Chine n’est pas un phénomène nouveau. Mais, ce qui était autrefois perçu comme une "usine du monde" produisant des biens de qualité inférieure est aujourd’hui une superpuissance industrielle capable de rivaliser avec l’Europe sur ses propres terrains d’excellence. La compétitivité européenne s'érode à une vitesse alarmante. En 2015, produire une voiture électrique en Europe coûtait 10% de plus qu'en Chine. En 2024, cet écart atteint 40%. Dans le secteur des panneaux solaires, les fabricants européens ont simplement cessé d'exister, incapables de rivaliser avec des prix chinois inférieurs de 60% aux coûts de production européens. Pour aggraver les choses, la sous-évaluation persistante du yen japonais joue le rôle d’un catalyseur supplémentaire de la pression concurrentielle. Avant la pandémie de Covid-19, un euro valait environ 120 yens. Aujourd’hui, il s’échange à 161 yens, offrant aux exportateurs japonais un avantage tarifaire considérable sur leurs homologues européens.

 

La conclusion de cette conjoncture internationale est que la perspective de l’Euro, c’est une trajectoire baissière. En faisant tourner un modèle économétrique basé sur l'analyse de cycles monétaires, je peux annoncer une dépréciation probable de l'euro de 15-20%  vis-à-vis du dollar américain sur les 30 prochains mois avec une probabilité de réalisation de 60%. D’ailleurs, la monnaie européenne, qui valait 1,20 dollar avant la pandémie, oscille aujourd’hui autour de 1,05 dollar. Venons-en au Franc CFA.

 

L’arrimage fixe du Franc CFA à l’euro, conçu comme un gage de stabilité, devient dans ce contexte une ancre lourde. La valeur du Franc CFA est directement liée à celle de l’euro, ce qui signifie que tout affaiblissement de la monnaie européenne se répercute mécaniquement sur les pays utilisant le CFA. Historiquement, cet arrimage a permis aux pays de la zone CFA de bénéficier d’une inflation maîtrisée et d’une certaine stabilité macroéconomique. Cependant, il a aussi limité leur capacité à ajuster leur politique monétaire en fonction de leurs besoins spécifiques. Alors que l’euro glisse sur une pente descendante, les économies africaines, pourtant éloignées des défis européens, seront entraînées dans sa chute. Rien de nouveau. L’histoire économique regorge d’exemples où des monnaies arrimées ont souffert des faiblesses de leur ancrage. Le cas de l’Argentine dans les années 1990, avec son peso arrimé au dollar, offre un avertissement poignant. Tant que l’économie américaine était robuste, l’Argentine bénéficiait d’une stabilité relative. Mais lorsque les vents ont tourné, le système d’arrimage est devenu insoutenable, précipitant une crise monétaire et économique majeure. De même, l’effondrement du système de Bretton Woods dans les années 1970, qui arrimait les monnaies du monde au dollar américain, a montré les limites des régimes de change fixe dans un monde en mutation constante.

 

Avec un euro affaibli, les conséquences sont claires et directes : renchérissement des importations hors zone euro, pression inflationniste accrue sur les économies africaines et détérioration des termes de l'échange. Et, comme j’aime me mouiller, je propose d’aller au bout de l’exercice prospectif. J’envisage trois scénarios.

Scénario central (probabilité 60%)

Dépréciation ordonnée de l'euro et maintien de la parité fixe du Franc CFA, entraînant :

  • Une baisse de 15-20% de la valeur effective du Franc CFA

  • Une inflation importée de 4-5% par an

  • Un ralentissement de la croissance dans la zone CFA de 1 à 1.5 points

Scénario pessimiste (probabilité 25%)

Crise majeure de l'euro conduisant à :

  • Une chute brutale de plus de 30% de l'euro/Franc CFA

  • Une crise de la dette souveraine dans plusieurs pays africains de la zone franc

  • Des tensions sociales accrues liées à l'inflation

Scénario de réforme (probabilité 15%)

Refonte du système monétaire CFA avec :

  • Introduction d'un panier de devises de référence

  • Flexibilité accrue des taux de change

  • Renforcement de l'intégration monétaire régionale

 

Comme le futur est radicalement incertain, je ne peux prédire l’avenir. Mais, je crois à la réalisation d’un de ces trois scénarios. L’on pourrait craindre une situation catastrophique pour de nombreux pays africains. Mais, gardons en tête que “Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve” Hölderlin. Cela m’amène à formuler quelques idées d’investissement. Pour ceux qui ont de l’épargne en FCFA, acheter du yen ou même du dollar US ou encore des actifs réels (matières premières, immobilier) toutes affaires cessantes ne serait pas une idiotie.

 

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