Laissez-moi vous confier un secret, cher lecteur : je suis un bassiste, un passionné amateur de jazz. Et, je vais vous raconter quelque chose qui m'émeut à chaque fois que je joue du jazz avec mes amis.
Il y a quelques jours, mon groupe de jazz a eu la chance de monter sur scène lors d'une soirée privée. La lumière tamisée baignait la pièce d'une douce luminosité, créant une ambiance feutrée propice à la magie musicale. En prenant entre mes mains la basse, je laisse mes doigts glisser instinctivement sur les cordes, en quête de la première note qui donnera le ton. À mes côtés, mes compagnons d’âme — un saxophoniste dont les souffles sont des étincelles d'inspiration, un pianiste aux accords flamboyants qui jongle avec les émotions, et un batteur qui suit chaque souffle de la musique — se tiennent prêts. Nous ne sommes pas prisonniers d'une partition ou de notes gravées sur du papier. Non, rien n’est figé, rien n'est imposé. Chaque souffle, chaque regard échangé entre nous devient une invitation à l'improvisation. Ensemble, nous tissons des mélodies qui, par un doux paradoxe, créent un ordre exquis né du chaos. Dans cette bulle d'instantanéité et de connexion, le jazz prend vie, et je suis emporté par la magie de ce moment partagé. C’est dans cette liberté absolue que se cache l’essence du jazz. Chaque musicien est autonome, libre de suivre son propre chemin, mais il est aussi profondément ancré dans une écoute attentive de ce que les autres expriment. Cet échange, ce dialogue de sons et de silences, compose un équilibre aussi fragile qu’harmonieux. Nous n’avons besoin d’aucun chef d’orchestre pour nous guider ; la cohésion de notre performance se construit spontanément. Cet ordre qui semble émerger de lui-même, sans planification, sans intervention extérieure, c'est ce que l’on appelle l’ordre spontané.
Dans le jazz, l’improvisation est reine. Contrairement aux musiques orchestrées où chaque note est planifiée, chaque mesure préparée, le jazz laisse une liberté immense aux musiciens. Chaque instrumentiste est libre de suivre son intuition, de moduler son rythme, de varier son volume, de surprendre. Pourtant, il ne s’agit pas d’une cacophonie. Pourquoi ? Parce que chaque musicien est aussi un auditeur. Il écoute, réagit, et ajuste son jeu en fonction de celui des autres. Il ne s’agit pas de s’imposer, mais de trouver sa place dans un tout qui ne cesse de se transformer. Le trompettiste Wynton Marsalis, maître incontesté du jazz, a un jour expliqué que l’improvisation est une conversation. "Le jazz, disait-il, c’est la liberté dans une structure." Et cette structure, loin d’être imposée de l’extérieur, émerge de l’interaction des musiciens eux-mêmes. Le jazz crée une organisation spontanée, une forme d’ordre sans qu’aucune règle ne soit explicitement énoncée. Imaginez un instant que l’on impose une partition stricte à ces musiciens, qu’un chef d’orchestre leur dicte chaque note. La magie disparaîtrait, étouffée sous le poids de la contrainte. Ce qui fait la beauté du jazz, c’est précisément cette capacité de chacun à explorer ses propres limites, tout en contribuant à une harmonie collective.
Pourquoi je parle de tout cela ? Parce qu’il en va de même en économie : lorsque les individus sont libres de poursuivre leurs intérêts, d’explorer leurs talents, et de s’ajuster aux actions des autres, il se crée un équilibre dynamique, riche et fructueux bref un ordre spontané.
Dans le jazz, comme dans l’économie, l’ordre spontané naît de la liberté. Les actions individuelles, bien qu’apparentes dans leur chaos, s’harmonisent pour former un ensemble cohérent. De même que les musiciens d’un groupe de jazz trouvent leur harmonie sans chef d’orchestre, une économie libre s’organise naturellement sans une autorité centrale qui planifie chaque mouvement.
L’économie, laissée libre, produit des "harmonies économiques" (pour parler comme Frédéric Bastiat) où chaque individu, en poursuivant son propre intérêt, contribue au bien-être général. C’est cet ordre qui émerge des interactions libres, sans direction centralisée et qui fait écho à la magie de l’improvisation jazz. L'économie est un système d’interdépendance entre les individus. Chacun, en poursuivant ses objectifs, se coordonne naturellement avec les autres, à la manière des musiciens dans un groupe de jazz. Dans une économie libre, les prix jouent le rôle de "structure invisible" qui guide les actions des individus, de même que le rythme de la batterie guide les musiciens dans une improvisation. Les prix envoient des signaux sur la rareté, la demande, les besoins de chacun. Les entrepreneurs, en lisant ces signaux, allouent les ressources de manière optimale, sans qu’un planificateur central n’ait à intervenir.
Friedrich Hayek, dans son essai “The Use of Knowledge in Society”, explique brillamment comment ce processus d’ajustement se fait. Il décrit le marché comme un "processus de découverte" où chaque individu, en agissant librement, contribue à révéler des informations que personne, pris individuellement, ne pourrait posséder. De même que chaque musicien dans un groupe de jazz apporte son expérience, sa sensibilité, son écoute, chaque acteur économique apporte ses connaissances, ses compétences, son jugement. Cet ordre spontané est une véritable harmonie, un équilibre où les intérêts de chacun s’accordent avec ceux de tous. Mais, cette harmonie n’émerge que si l’on laisse les individus libres de leurs choix, de leurs erreurs et de leurs réussites. Une intervention trop forte de l’État, en perturbant les signaux de prix, brise cette harmonie, tout comme une partition imposée briserait l’essence de l’improvisation jazz. L’histoire regorge d’exemples où des politiques interventionnistes ont tenté de remplacer l’ordre spontané par une organisation centralisée, souvent avec des conséquences désastreuses. L’Union Soviétique et la planification centralisée. En URSS, l’État contrôlait l’intégralité de l’économie, fixant les prix, planifiant la production, décidant de la répartition des ressources. Cette planification centrale, loin de produire un ordre harmonieux, a conduit à une inefficacité chronique, à des pénuries et à un appauvrissement généralisé. Sans signaux de prix pour guider leurs décisions, les planificateurs étaient comme des musiciens jouant sans écouter leurs partenaires, chacun isolé dans sa propre ligne mélodique. Il y a aussi l’imbécilité des politiques de contrôle des prix. Dans certains pays, des politiques de contrôle des prix, imposées pour maintenir le coût de la vie bas, ont eu des effets pervers. En faussant les signaux de marché, elles ont créé des pénuries de produits essentiels, empêchant les producteurs d’adapter leur offre à la demande réelle.
L’ordre spontané est au cœur de la créativité, de l’harmonie et de la prospérité, que ce soit dans le jazz ou dans une économie libre. Il est le fruit de la liberté individuelle et du respect de cette liberté. En laissant chaque individu libre de ses choix, libre de ses actions, libre de ses erreurs, nous créons les conditions d’une véritable harmonie.
A ce stade, le lecteur intéressé peut se dire : “Cette démonstration est sympa mais est-ce qu’elle est vérifiée dans la réalité ?” Que ce lecteur veuille considérer le graphique suivant :
Source : Fraser Institute
Le graphique soutient fortement l'idée selon laquelle la liberté économique et la prospérité générale sont positivement liées. À court terme, une augmentation de la liberté économique conduit à une hausse rapide de la croissance, alors que sur le long terme, les effets cumulés d'une telle liberté peuvent engendrer une prospérité durable. Les pays qui adoptent des politiques favorisant la liberté économique voient souvent des taux de chômage réduits et une meilleure dynamique de création d'entreprises, ce qui renforce leur tissu économique.
“En économie politique, il y a beaucoup à apprendre et peu à faire” disait l’économiste Jérémie Bentham. Il a raison. Une économie libre fait émerger un ordre spontané sans aucune intervention extérieure. Que cette pensée ne s’éloigne point de l’esprit des décideurs, afin qu’ils la méditent jour et nuit.