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L'équation délicate du salaire minimum au Nigeria

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L'augmentation du salaire minimum au Nigeria, portée à 70 000 nairas, constitue une avancée sociale indéniable. Elle répond en partie aux revendications des syndicats et vise à améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs nigérians, particulièrement ceux du secteur public Cette décision, fruit de longues négociations et de pressions syndicales, pourrait sembler être une victoire éclatante pour les travailleurs de la nation la plus peuplée d’Afrique, notamment dans un contexte d'inflation croissante. Cependant, bien que motivée par des considérations sociales, elle ignore les réalités économiques profondes du pays et pourrait bien se révéler contre-productive. Je propose au lecteur de faire une analyse économique de cette décision dépourvue de tout pathos (pas toujours évident quand on aborde un sujet qui relève du social). 

 

Comme l'a souligné Frédéric Bastiat, en matière de politique économique, il y a : "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas". 

 

Commençons par ce que l'on voit : des travailleurs recevant un salaire plus élevé. Mais que ne voit-on pas ? Les emplois qui ne seront jamais créés, les entreprises qui fermeront leurs portes, et l'expansion du secteur informel. Je m’explique.

 

Le concept du salaire minimum repose sur une idée simple : fixer un plancher sous lequel les salaires ne peuvent pas descendre pour garantir un niveau de vie décent aux travailleurs. Cependant, cette idée se heurte rapidement aux réalités économiques, notamment dans un pays comme le Nigeria, où l’économie informelle représente une part majeure de l’activité économique. Selon une étude de la Banque mondiale, environ 65% des travailleurs nigérians évoluent dans l’informalité. Dans un tel contexte, imposer un salaire minimum devient une mesure non seulement inefficace mais aussi potentiellement dangereuse. Des économistes tels que Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, ont longuement argumenté que l'intervention de l'État dans la fixation des salaires constitue une atteinte aux mécanismes naturels du marché et génère des distorsions néfastes. Cette situation rappelle les mots de Ludwig von Mises : "Le salaire minimum est en réalité une loi interdisant à quiconque d'être embauché à un salaire que le législateur juge trop bas". Cette interdiction pousse simplement davantage de travailleurs vers le secteur non réglementé, les privant ainsi de protections légales essentielles.

Dans une économie de marché, les salaires sont déterminés par l'offre et la demande de travail. Lorsque l'État impose un salaire minimum, il crée artificiellement un prix plancher qui peut se situer au-dessus de l’équilibre du marché. Cela conduit à un excédent de l'offre de travail : autrement dit, à du chômage. Ce chômage touche particulièrement les travailleurs les moins qualifiés, ceux dont la productivité marginale est inférieure au salaire minimum imposé. Plutôt que de leur garantir un revenu décent, le salaire minimum les exclut purement et simplement du marché du travail formel.

Au Nigeria, où plus de 60 % de la population active est employée dans le secteur informel, la mise en place d'un salaire minimum risque d'accentuer la précarité des travailleurs. En effet, les employeurs du secteur formel, confrontés à des coûts salariaux plus élevés, pourraient être tentés de réduire leur effectif ou de substituer les travailleurs humains par des machines, comme cela a été observé dans des économies plus industrialisées. Quant aux entreprises du secteur informel, elles continueront simplement à ignorer la législation sur le salaire minimum, exacerbant ainsi l’écart entre les travailleurs formels et informels.

 

Les partisans du salaire minimum affirment souvent qu’il s’agit d’un outil efficace pour lutter contre la pauvreté. Or, c’est précisément l’inverse qui se produit. Les économistes mettent en garde contre les « effets non vus » de l’intervention étatique. Selon Frédéric Bastiat, chaque action économique doit être jugée non seulement par ses effets immédiats, mais aussi par ses conséquences à long terme, souvent ignorées par les décideurs politiques.

 

Prenons l’exemple de la France, où un salaire minimum relativement élevé est en vigueur. Bien que cela ait permis à certains travailleurs de bénéficier de salaires plus élevés, cela a également contribué à un taux de chômage structurel élevé, en particulier chez les jeunes et les moins qualifiés. Le chômage des jeunes en France s'élevait à environ 20 % en 2022, une conséquence directe du coût élevé du travail, exacerbé par le salaire minimum. En comparaison, en Allemagne, où le salaire minimum a été introduit seulement en 2015, les taux de chômage ont historiquement été plus bas, en particulier avant cette date, lorsque le marché du travail était plus flexible. Il est également important de noter que dans des économies comme celle de la Suisse, où il n’y a pas de salaire minimum légal, les salaires sont parmi les plus élevés au monde. En 2021, le salaire médian en Suisse était d'environ 6 600 francs suisses par mois (environ 7 000 dollars), un chiffre bien supérieur à celui des pays avec un salaire minimum élevé. Comment expliquer ce paradoxe apparent ? En l'absence de salaire minimum, ce sont les forces du marché qui déterminent les salaires, favorisant ainsi l’adaptation de l'offre et de la demande de travail. Les employeurs, pour attirer et retenir les meilleurs talents, sont incités à offrir des rémunérations compétitives. Un autre exemple éloquent est celui du Danemark, souvent cité comme un modèle de réussite économique et sociale. Le Danemark ne dispose pas de salaire minimum national, mais plutôt d’un système de négociations collectives décentralisé entre syndicats et employeurs, qui permet d’ajuster les salaires en fonction des réalités économiques de chaque secteur. Ce système a permis au Danemark de maintenir un taux de chômage bas (autour de 4 % en 2022) et des salaires élevés, tout en conservant une compétitivité économique remarquable. Dans une étude comparative, l’OCDE a souligné que les pays sans salaire minimum ont souvent des niveaux de chômage plus bas et une plus grande flexibilité du marché du travail, ce qui permet aux économies de s’adapter plus rapidement aux chocs économiques. En outre, les inégalités de revenu dans ces pays ne sont pas nécessairement plus élevées. Au contraire, le Danemark présente l'un des coefficients de Gini les plus bas au monde, indiquant une répartition relativement équitable des revenus. Un autre exemple frappant est Singapour. Sans salaire minimum national, Singapour affiche un PIB par habitant parmi les plus élevés au monde (66 263 dollars en 2023 selon la Banque mondiale). Comment ? En créant un environnement propice aux affaires, en investissant massivement dans l'éducation et en maintenant une fiscalité compétitive.

Mais revenons à notre cher Nigeria. L'augmentation du salaire minimum à 70 000 nairas peut sembler généreuse, mais examinons les conséquences probables :

  1. Augmentation du chômage : Les entreprises, en particulier les PME qui constituent l'épine dorsale de l'économie, seront contraintes de licencier des employés ou de réduire les embauches pour faire face à l'augmentation des coûts. Comme l'a dit Murray Rothbard : "Le salaire minimum condamne au chômage les travailleurs les moins productifs".

  2. Expansion du secteur informel : Face à l'impossibilité de payer le salaire minimum, de nombreuses entreprises choisiront simplement d'opérer dans l'informalité. Selon l'Organisation Internationale du Travail, déjà plus de 60% des emplois au Nigeria sont informels. Cette mesure ne fera qu'exacerber ce problème.

  3. Inflation : Pour compenser l'augmentation des coûts salariaux, les entreprises augmenteront leurs prix, réduisant ainsi le pouvoir d'achat réel des travailleurs.

  4. Réduction de la compétitivité : Dans une économie mondialisée, l'augmentation artificielle des coûts de main-d'œuvre rendra les produits nigérians moins compétitifs sur le marché international.

  5. Distorsion du marché du travail : Le salaire minimum crée une distorsion artificielle dans l'échelle des salaires, comprimant les écarts entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés. Cela peut réduire l'incitation à acquérir de nouvelles compétences.

 

Alors, j’entends un lecteur s’écrier : “ Mais, Sophonie, tu proposes quoi ? Comment améliorer les conditions de vie des travailleurs nigérians ? ”. La réponse est simple : en libérant l'économie. Comme l'a démontré l'économiste Hernando de Soto, la clé du développement économique réside dans la formalisation de l'économie informelle et la protection des droits de propriété.

 

Imaginons un instant que le Nigeria, au lieu d'augmenter le salaire minimum, décide de :

  1. Simplifier drastiquement les procédures de création d'entreprise. Actuellement, selon le rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale, il faut en moyenne 7 procédures et 7 jours pour créer une entreprise au Nigeria. Réduisons cela à 1 jour et 1 procédure.

  2. Réformer le système fiscal pour le rendre plus simple et plus équitable. Le taux d'imposition total actuel de 34,8% est un frein à l'entrepreneuriat. Réduisons-le à 20% et simplifions de moitié le code fiscal.

  3. Investir massivement dans l'éducation et la formation professionnelle. Selon l'UNESCO, le taux d'alphabétisation des adultes au Nigeria n'est que de 62%. Imaginons un programme national visant à porter ce taux à 90% en 5 ans.

  4. Améliorer l'infrastructure, en particulier l'accès à l'électricité. Selon la Banque mondiale, seulement 55% de la population nigériane a accès à l'électricité. Portons ce chiffre à 80% en investissant dans des sources d'énergie durables.

  5. Renforcer l'État de droit et lutter contre la corruption. Le Nigeria se classe 150e sur 180 pays dans l'Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International. Imaginons une réforme judiciaire et administrative profonde pour restaurer la confiance des investisseurs.

Ces mesures, contrairement au salaire minimum, s'attaqueraient aux racines du problème plutôt qu'à ses symptômes. Elles créeraient un environnement propice à la création d'emplois, à l'innovation et à la croissance économique durable.  Évidemment, c’est moins politicien que de décréter l’augmentation du salaire minimum. Il est temps que nos dirigeants comprennent que la prospérité ne se décrète pas. Elle se cultive en créant les conditions propices à son épanouissement. Le salaire minimum, aussi bien intentionné soit-il, n'est qu'un mirage économique qui nous détourne des véritables solutions. L'avenir du Nigeria, et de l'Afrique tout entière, dépend de notre capacité à embrasser les principes du libre marché et à rejeter les fausses solutions de l'interventionnisme économique. C'est ainsi, et seulement ainsi, que nous pourrons construire une prospérité durable pour tous.

 

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