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Le mythe du multiplicateur keynésien au Bénin

Le mythe du multiplicateur keynésien au Bénin

Dans le paysage économique du Bénin, comme dans de nombreux pays en développement, une croyance persiste avec une ténacité remarquable : celle du multiplicateur keynésien. Cette théorie, souvent présentée comme une panacée économique, postule qu'une augmentation des dépenses gouvernementales entraînerait une croissance proportionnellement plus importante du PIB. Popularisée par John Maynard Keynes dans les années 1930, cette théorie du multiplicateur keynésien a souvent été invoquée par les gouvernements pour justifier des politiques de relance budgétaire. Mais cette approche, aussi séduisante soit-elle en théorie, se heurte à des limites réelles lorsqu'elle est appliquée dans des contextes économiques spécifiques, comme celui du Bénin. 

 

Selon Keynes, une injection de dépenses publiques dans l'économie entraîne une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. En d'autres termes, chaque franc supplémentaire dépensé par l'État génère une croissance économique supérieure à un franc. Ce mécanisme est censé fonctionner grâce à un effet boule de neige : les bénéficiaires des dépenses publiques augmentent leur consommation, ce qui stimule la production et crée de nouveaux emplois, et ainsi de suite.

Cependant, cette théorie repose sur un certain nombre d'hypothèses qui ne sont pas toujours vérifiées dans la réalité, notamment :

Une économie fermée : Le modèle keynésien suppose une économie fermée, c'est-à-dire sans échanges avec l'extérieur. Or, les économies africaines sont généralement très ouvertes, et une partie importante des dépenses publiques peut être utilisée pour financer des importations, réduisant ainsi l'effet multiplicateur interne.

Des prix rigides : La théorie keynésienne suppose que les prix sont rigides à la baisse, ce qui permet aux quantités produites d'augmenter en réponse à une hausse de la demande. Or, dans de nombreux pays en développement, les prix sont souvent flexibles, limitant l'efficacité des politiques de relance.

Une capacité de production inutilisée : Le modèle keynésien fonctionne mieux lorsque l'économie est en sous-emploi. Si les capacités de production sont déjà pleinement utilisées, une augmentation de la demande peut entraîner de l'inflation plutôt qu'une croissance de la production.

 

De là, il est simple de comprendre que le multiplicateur keynésien ne peut fonctionner dans le contexte béninois. L'économie béninoise, comme celle de nombreux pays en développement, est caractérisée par une forte dépendance aux importations. Selon les données de la Banque Mondiale, les importations représentaient environ 32% du PIB du Bénin en 2020. Cette structure économique signifie qu'une part importante des dépenses publiques "fuit" vers l'étranger sous forme d'importations, réduisant considérablement l'effet multiplicateur attendu. Par exemple, si le gouvernement béninois investit dans un projet d'infrastructure, une grande partie des équipements et des matériaux seront probablement importés. Ainsi, sur un investissement hypothétique de 100 milliards de francs CFA, jusqu'à 32 milliards pourraient directement quitter l'économie nationale, limitant drastiquement l'effet multiplicateur local. De plus, l'augmentation des dépenses publiques financées par l'emprunt peut conduire à un effet d'éviction dans le secteur privé. Au Bénin, où le secteur financier est relativement sous-développé, cet effet peut être particulièrement prononcé. Lorsque le gouvernement emprunte massivement, il absorbe une part importante des ressources financières disponibles, laissant moins de capital pour le secteur privé. Les statistiques de la BCEAO montrent que le crédit au secteur privé au Bénin ne représentait que 17% du PIB en 2020, bien en deçà de la moyenne mondiale. Par ailleurs, l'efficacité du multiplicateur keynésien repose sur l'hypothèse que les dépenses publiques sont utilisées de manière productive. Malheureusement, la réalité au Bénin, comme dans de nombreux pays en développement, est souvent marquée par des inefficacités et parfois même par la corruption. Selon l'Indice de Perception de la Corruption 2020 de Transparency International, le Bénin se classait au 83e rang sur 180 pays. Bien que ce classement soit relativement bon pour la région, il indique néanmoins que des défis persistent en matière de gouvernance. 

Inutile de rappeler qu’avec une économie informelle dominante, les mécanismes traditionnels de transmission des politiques budgétaires sont affaiblis. Les entreprises informelles échappent en grande partie aux circuits financiers officiels, limitant l'impact des dépenses publiques sur l'investissement privé et l'emploi formel.

 

L'histoire économique du Bénin et de la région offre de nombreux exemples des limites du multiplicateur keynésien. Le Ghana dans les années 1980. Le Ghana a adopté des politiques de dépenses publiques massives dans les années 1980, financées par l'endettement extérieur. Au lieu de stimuler la croissance et de mettre en route le “famoso” multiplicateur keynésien, cela a conduit à une hyperinflation, une dépréciation de la monnaie et une crise de la dette. Le pays a dû recourir à des programmes d'ajustement structurel imposés par le FMI, entraînant des mesures d'austérité sévères. Le Zimbabwe dans les années 2000. Le gouvernement de Robert Mugabe a mis en place une politique d'expansion budgétaire agressive, censée stimuler l'économie. Le résultat fut catastrophique : une hyperinflation record, avec des taux atteignant plusieurs millions de pour cent, et un effondrement économique dont le pays peine encore à se remettre. 

 

Ces exemples illustrent les risques inhérents à une confiance aveugle dans le multiplicateur keynésien, particulièrement dans des économies fragiles comme celle du Bénin. L'idée selon laquelle le déficit budgétaire serait un outil efficace pour stimuler la croissance repose sur des fondements théoriques et pratiques fragiles

 

Face à ces constats, il apparaît crucial de repenser notre approche de la politique budgétaire. L'Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) a établi une règle limitant le déficit budgétaire à 3 % du PIB. Cependant, cette règle est souvent contournée ou ignorée. Je propose d’aller plus loin. Pour le Bénin, je propose de constitutionnaliser la règle des 3% de l'UEMOA. Cette mesure audacieuse aurait plusieurs avantages :

Engagement à long terme : Elle inscrirait dans le marbre de la Constitution l'engagement du Bénin pour une gestion budgétaire responsable. Cela garantirait la pérennité de cette règle, indépendamment des changements politiques dans une certaine mesure.

Protection contre les dérives : Elle offrirait une protection contre les tentations de dépenses excessives, souvent motivées par des considérations électorales à court terme. Cela contribuerait à une plus grande stabilité politique.

Signal fort : Ce serait un signal fort envoyé aux investisseurs et partenaires internationaux, renforçant l'image du Bénin comme un pays économiquement responsable. Cela pourrait attirer davantage d'investissements directs étrangers.

Stabilité politique : En limitant les possibilités de manipulation budgétaire à des fins électorales, cette règle pourrait contribuer à une plus grande stabilité politique. Une économie stable est souvent synonyme d'un climat politique apaisé.

Incitation à l'innovation : Cette contrainte pourrait stimuler l'innovation dans la gestion publique, poussant à trouver des solutions plus efficaces et créatives pour stimuler la croissance. Les gouvernements seraient encouragés à optimiser les ressources existantes.



Le multiplicateur keynésien ne fonctionne pas au Bénin en raison des réalités économiques, sociales et structurelles spécifiques du pays. L'augmentation des dépenses publiques et le recours au déficit budgétaire ne constituent pas des solutions miracles pour stimuler une croissance durable. Au contraire, le Bénin devrait adopter une approche plus mesurée, basée sur la discipline budgétaire et l'efficacité des dépenses publiques. Cela implique de se concentrer sur des réformes structurelles, le développement du secteur privé, l'amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption. La constitutionnalisation de la règle du déficit budgétaire de 3 % de l'UEMOA pourrait être un pas décisif dans cette direction, offrant un cadre stable pour le développement économique. En rejetant le mythe du multiplicateur keynésien et en embrassant une vision plus réaliste de la croissance, le Bénin a le potentiel pour devenir un modèle de gestion économique responsable en Afrique.

 

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