« La démographie, c’est le destin », disait Auguste Comte. Les élites - c’est-à-dire, ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire - béninoises l’ont bien compris. Le conseil des ministres du 03 Mai 2023 a décidé de l’Organisation des assises nationales sur la croissance démographique et le développement au Bénin pour cette fin d’année. C’est une initiative bien louable. Ce billet est donc ma contribution au débat citoyen.
Bien qu’il faut attendre les conclusions issues des assises, on connaît désormais la posture du gouvernement. Le Ministre d'État, chargé du Développement et de la Coordination de l'action gouvernementale, Monsieur Abdoulaye BIO TCHANÉ a parlé de “parentalité responsable”. Son Directeur de Cabinet, Monsieur Alastaire Sèna ALINSATO a indiqué que les individus au Bénin génèrent un déficit net d'environ 8% du PIB en se basant sur le profil moyen de consommation et de revenu du travail. Là aussi, on voit bien la posture.
Le Président de la République, lui-même, a dit sur LCI le 5 mars dernier “Il faut contrôler les naissances, il faut limiter le taux de progression de la démographie pour que nos moyens soient en adéquation avec la population”. Donc la croyance au mythe malthusien bat son plein au sein du gouvernement béninois malgré le fait que, plus de 200 années de révolution industrielle ont liquidé les âneries de Malthus.
En honnête homme - au sens du 17ème siècle -, je me suis demandé quelle est la meilleure façon de contribuer au débat citoyen sans parti pris ni idéologie. Voici ma démarche : proposer un ensemble de graphiques avec des commentaires simplement descriptifs. Je laisse le lecteur se faire une idée. Napoléon Bonaparte avait bien raison de dire qu’ “Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours”.
1er graphique : Une population qui croît jusqu’en 2100
La population béninoise est estimée à 12.123.200 habitants en 2020. « Estimée » car le quatrième et plus récent Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH) du Bénin remonte à l’année 2013. Selon les projections des Nations Unies, la population béninoise sera de 24.280.477 habitants en 2050 dans le scénario médian. Nota Bene : Avec les incertitudes sur les conditions initiales (fécondité, mortalité, migration) de l’exercice de projection démographique, on peut légitimement prendre avec beaucoup de précaution les résultats au-delà de 2050. Par exemple, si l’on reprend les travaux de la Division de la Population des Nations Unies en 1994, ils prévoyaient 170 millions d’habitants en Iran en 2050 ; ceux de 2019 tablent sur 100 millions. Le Bénin passera du 77ème pays le plus peuplé au monde en 2020 au 69ème en 2050 soit une part de la population mondiale de 0,16% en 2020 à 0,25% en 2050.
2ème graphique : Une population jeune
L’âge médian au Bénin est de 18,8 ans en 2023 (United Nations, 2023). La répartition par âge est la suivante (estimation 2018) :
3ème graphique : Croissance de la population béninoise : gloire aux progrès sociaux !
En 1960, l’espérance de vie à la naissance au Bénin était de 38,4 ans (37,8 ans pour les hommes & 39 ans pour les femmes). En 2020, l’espérance de vie à la naissance était de 62,8 ans (61,2 ans pour les hommes & 64,5 ans pour les femmes). Au moment de l’indépendance du Bénin (1960), 296,33 enfants sur 1000 naissances mourraient avant l’âge de 5 ans. En 2023, ce ratio n’est que de 84,71/1000. La mortalité infantile est passée de 207,82 enfants pour 1000 naissances en 1950 à 54,13 enfants pour 1000 naissances en 2020.
4ème graphique : La croissance de la croissance démographique est orientée à la baisse
Le nombre d’enfants par femme est passé de 7 en 1985 à 5 en 2020. Ce phénomène a eu lieu sans une politique d’Etat de « parentalité responsable ».
Selon les projections démographiques de la Division Population des Nations Unies, dans plusieurs scénarii de simulation, le nombre d’enfants par femme au Bénin pourrait passer en dessous de 2,1(ligne verte sur le graphique) ; chiffre qui assure le remplacement de la population. D’ici à 2100, ce qui guette le Bénin c’est bien la dépopulation !
5ème graphique : La croissance de la population béninoise n’a pas eu d’influence négative sur la croissance économique du Bénin
De 1961 à 2021, la plupart du temps, la courbe noire (croissance annuelle du PIB) est au-dessus de la courbe rouge (croissance annuelle de la population).
De 1960 à 2021, le PIB nominal du Bénin est passé de 226 195 579 $US à 17 144 918 952 $US soit un coefficient multiplicateur de 75,79 malgré que la population béninoise soit passée de 2 512 284 habitants à 12 996 895 habitants soit un coefficient multiplicateur de 5, 17 sur la même période.
Les 5 graphiques ci-dessus portent un message qui va dans le sens opposé à celui de la posture gouvernementale.
“L’humanité s’est toujours cramponnée désespérément aux idées mortes” disait Gustave Le Bon. Mais, il était loin d’imaginer à quel point l’idée de “surpopulation” introduite par Malthus en 1798 s’est solidement fixée dans l’esprit des foules. En 1798, le pasteur britannique Thomas Robert Malthus publie son célèbre ouvrage Essai sur le principe de la population dans lequel il explique que les rendements d’un champ agricole sont décroissants au fur à mesure que l’on y ajoute des travailleurs. Il prédisait que, si aucun facteur exogène ne la freine, la population s'accroît suivant une progression géométrique {1, 2, 4, 8, 16, 32, …} et les moyens de subsistance suivant une progression arithmétique {1, 2, 3, 4, 5, 6, …}. Il en déduisit que les hausses de surplus de nourriture qui accroissent géométriquement la population devraient faire retomber celle-ci dans la disette et la misère. Les deux hypothèses de la théorie malthusienne se sont révélées fausses avec le temps. La démographie comme discipline enseigne qu’à une forte croissance de la natalité succède une phase caractérisée par une baisse de la natalité. L’expérience de plusieurs pays confirme cette thèse. L’indicateur conjoncturel de fécondité pour 100 femmes en France est passé de 294,7 en 1950 à 184,9 en 2017 . D’après les projections de la Division de la Population des Nations Unies, le Japon perdra environ 15% de sa population d’ici 2050. La deuxième hypothèse de la théorie malthusienne est en totale contradiction avec les effets de la révolution agricole du XIXe et XXe siècle. Par exemple, les agriculteurs de la vallée du fleuve de Sénégal, grâce aux progrès de l’irrigation et de la mécanisation, ont vu leur production multipliée par cinq en dix ans. L’Inde, en l’espace de quelques décennies et en même temps que le triplement de sa population, est devenue un grand exportateur de blé . Le pasteur Thomas Robert Malthus a échoué dans sa prophétie et s’est fourvoyé dans ses prédictions. Mais la théorie malthusienne a créé une religion dont la profession de foi est : Il n’y a pas de la place pour tout le monde au « grand banquet de la nature ».
J’invite ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire au Bénin à sortir de la religion malthusienne. Le véritable enjeu du Bénin en matière de démographie est de trouver les mécanismes pour accroître la contribution des dividendes démographiques à la croissance de son économie. Ci-après quelques propositions pour tirer tout le potentiel de la démographie béninoise :
Je veux terminer ce billet avec l’image suivante :
« La jarre trouée contient l’eau qui donnera au pays le bonheur. Si tous les enfants venaient, par leurs doigts assemblés à en boucher les trous, le liquide ne coulera pas et le pays serait sauvé », avait déclaré le Roi Ghézo.
Je rajouterai : Plus il y a de béninois, plus il y aura de mains pour boucher la jarre trouée afin que le pays soit sauvé.