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La concurrence est le gardien de l’efficacité

La concurrence est le gardien de l’efficacité

Dans la sphère scolaire, dans le domaine sportif ou même dans la recherche de la perfection artistique, la présence de rivaux ou de personnes qui nous inspirent par leurs réussites nous pousse à innover, à aller plus loin, à affiner nos compétences. Cette même logique, transposée à l’économie, apparaît alors sous la forme d’une concurrence entre entreprises, produits et services. La concurrence n’est pas une guerre où le vainqueur est celui qui détruit son rival, mais bien un puissant levier d’innovation et de progrès. Elle est, pour reprendre une expression de Friedrich Hayek, un « processus de découverte » qui permet à la société de s’adapter, de se réinventer et de prospérer. À l’heure où des entreprises comme DeepSeek viennent concurrencer des géants comme ChatGPT, il est plus que jamais nécessaire de réhabiliter cette notion fondamentale de l’économie, et de montrer en quoi elle est non seulement un moteur de croissance, mais aussi un gardien de l’efficacité et de la justice.

Il est vrai que le mot “concurrence” souffre d’une réputation déformée et injuste. Certains l’assimilent à une mécanique cruelle qui, pour prospérer, exclurait forcément les plus faibles. Une telle vision est cependant réductrice : elle n’envisage la confrontation que comme un conflit de forces brutes, où l’on se préoccupe de gagner des parts de marché comme on gagnerait un champ de bataille. Dans les faits, la concurrence est tout sauf une lutte à mort. Elle constitue plutôt un mécanisme de découverte et de dépassement, un jeu d’essais et d’erreurs, dans lequel chaque acteur cherche la meilleure réponse possible aux besoins du public. L’esprit de la concurrence n’est pas dans l’anéantissement de l’autre, mais dans l’effort constant pour briller davantage, pour innover et pour apporter plus de valeur. C’est en ce sens que la concurrence permet de renverser la perspective : loin de menacer le marché, elle le fait grandir, en multipliant les incitations à chercher de nouvelles solutions. Joseph Schumpeter voyait d’ailleurs dans cet élan concurrentiel le moteur de la “destruction créatrice”, principe selon lequel l’entrée d’un nouvel acteur bouscule les configurations établies, oblige les entreprises historiques à se réinventer et, partant, donne à l’économie un élan neuf et vital. Et c’est bien la concurrence qui, dans un marché où l’information circule librement, rend possible cette dynamique.

Friedrich Hayek ajoute une dimension supplémentaire, tout aussi essentielle : la concurrence est un processus de découverte de l’information. Selon lui, « la concurrence est essentiellement un processus de formation d’opinion ». Cette phrase, qui peut sembler énigmatique, signifie que ce n’est pas seulement une compétition sur les prix ou sur la qualité qui est en jeu : c’est aussi un processus constant d’apprentissage collectif. Chacun, qu’il soit entrepreneur, investisseur ou consommateur, apprend de la confrontation des offres disponibles. Les succès et les échecs, rendus visibles par la libre concurrence, informent l’ensemble de la société des voies les plus prometteuses à emprunter. Lorsque DeepSeek vient concurrencer ChatGPT, c’est toute la communauté du numérique qui s’éveille aux potentialités nouvelles de l’intelligence artificielle. Les ingénieurs rivalisent d’inventivité pour améliorer l’interface, enrichir les bases de données, perfectionner les algorithmes, rendre les machines toujours plus performantes. On assiste à une effervescence créative qui est, à bien des égards, l’illustration la plus concrète du rôle positif de la concurrence : obliger chacun à progresser, sous peine de se faire distancer.

Cet aspect dynamique se retrouve dans tous les domaines où la concurrence a droit de cité. Regardons l’industrie automobile : ce qui, au début du XXᵉ siècle, n’était qu’un marché embryonnaire, s’est rapidement développé lorsque de multiples constructeurs se sont engagés dans une course à l’innovation. Grâce à cette émulation, les véhicules sont devenus plus fiables, plus rapides, plus confortables. Les coûts de production ont chuté, rendant la voiture accessible à une frange toujours plus large de la population. Aujourd’hui encore, la concurrence entre constructeurs se réinvente : la quête de moteurs moins polluants et plus économes, l’essor des véhicules électriques, l’intégration de la technologie de conduite autonome… Tous ces progrès sont le fruit d’une compétition bénéfique, où l’esprit d’amélioration domine celui de la simple rivalité. Comme le disait Adam Smith, « Ce n’est pas de la bienveillance du boulanger ni du boucher que nous attendons notre dîner, mais bien de leur propre intérêt ». À travers cette formule devenue fameuse, Smith entendait souligner que la poursuite de l’intérêt personnel, lorsqu’elle se déploie dans un cadre concurrentiel et régi par la loi, aboutit à un bien-être collectif. Non parce que chacun chercherait volontairement le bien d’autrui, mais parce que la concurrence, en orientant les efforts vers la satisfaction du marché, aboutit à un alignement presque spontané des intérêts particuliers et de l’intérêt général.

Cette dimension altruiste de la concurrence peut paraître contre-intuitive. On l’assimile souvent à l’âpreté du gain, et l’on se méfie d’un mécanisme où chacun défend d’abord son propre profit. Cependant, le formidable “paradoxe” – au sens d’un fait inattendu – de l’économie de marché, est de montrer que la concurrence canalise cette quête du profit vers l’innovation et la baisse des coûts. Les entreprises, pour prospérer, n’ont pas d’autre choix que de se mettre au service des consommateurs et de rivaliser d’audace pour concevoir le produit qui fera la différence. Ainsi, lorsque ChatGPT s’est imposé sur la scène de l’intelligence artificielle générative, il a éveillé l’intérêt et la curiosité d’un large public. Il a, par la même occasion, fait fleurir de nouveaux projets concurrents, dont DeepSeek, qui vient interroger ce “quasi-monopole” naissant. Résultat : nous, consommateurs, bénéficions d’une palette de plus en plus riche d’outils.. Dans cette course à l’innovation, chacun peut se positionner pour proposer un service plus précis, plus intuitif, ou plus proche de l’exigence des utilisateurs. L’utilisateur – qu’il soit étudiant, chercheur ou simple curieux – se retrouve ainsi doté d’options multiples, parmi lesquelles il choisit librement la solution qui répond le mieux à ses besoins.

De cette dynamique concurrentielle naît un autre bienfait majeur : la limitation du pouvoir économique excessif. Dans un marché réellement libre et ouvert, il n’est pas possible de s’installer définitivement dans une position de domination sans être contesté. Les profits jugés “excessifs” constituent un signal irrésistible pour de nouveaux entrants. Ils indiquent qu’il y a, sur ce marché, une marge à saisir. Cela vaut dans l’industrie, dans la technologie, dans les services financiers, et même dans des secteurs inattendus comme l’agro-alimentaire ou l’hôtellerie. C’est ainsi que la concurrence agit comme un frein naturel à la concentration excessive du pouvoir. Contrairement à ce que certains redoutent, le monopole n’est pas une conséquence inévitable de la concurrence libre. Au contraire, un monopole ne subsiste durablement que lorsque la concurrence est empêchée par une réglementation trop restrictive, par des subventions indues ou par une collusion active des acteurs déjà en place. De fait, l’existence d’un monopole “pur” dans une économie ouverte est presque toujours le résultat d’une interférence publique ou d’une situation artificielle qui décourage la création de nouvelles entreprises. Il n’est donc pas surprenant que les grandes fortunes ou les entreprises géantes soient parfois tentées de s’allier au pouvoir politique pour entraver la concurrence. Cette stratégie, connue sous le nom de “crony capitalism” (capitalisme de connivence), n’est plus le libre marché concurrentiel, mais l’instrumentalisation de l’appareil d’État pour protéger certaines positions dominantes. La concurrence, quant à elle, demeure la meilleure réponse pour empêcher de telles dérives. Puisqu’elle garantit une égalité de chances à l’entrée sur le marché, elle accroît la justice économique et la répartition des richesses.

Lorsque l’on présente la concurrence comme un “gardien de l’efficacité”, on insiste sur l’un de ses aspects centraux : elle favorise la meilleure utilisation possible des ressources. Dans une économie, ces ressources sont limitées – qu’il s’agisse de matières premières, de capital, ou même de compétences humaines – et leur allocation constitue le premier enjeu de toute organisation sociale. Le marché concurrentiel, grâce au mécanisme des prix, envoie des signaux clairs : lorsque le prix d’un bien s’élève, c’est que la demande excède l’offre, ou que les coûts de production augmentent, ce qui attire de nouveaux producteurs. À l’inverse, une chute des prix signale une saturation du marché et décourage l’entrée de nouveaux acteurs. Sans la concurrence, ces signaux s’éteignent ou s’obscurcissent, car un monopole n’a aucun intérêt à aligner ses prix sur la réalité des coûts ni à améliorer constamment ses méthodes. Il préfère se contenter de sa rente et décourager toute innovation qui risquerait de le déstabiliser. Et c’est ainsi que les inefficiences s’accumulent, que la qualité stagne et que le pouvoir d’achat des consommateurs s’érode.

Ainsi, la leçon offerte par l’actualité DeepSeek versus ChatGPT prend une résonance plus générale : l’arrivée d’un nouvel acteur sur un marché, loin d’être un cataclysme à redouter, est une promesse de renouvellement. Le “gardien de l’efficacité” est donc cette concurrence que certains voudraient abattre, au motif qu’elle crée de l’instabilité. Or, c’est précisément cette “instabilité” – dans le sens d’un mouvement permanent – qui fait respirer l’économie, l’empêche de moisir sous l’effet de rentes et l’oblige à regarder vers l’avenir. Si nous souhaitons que l’intelligence artificielle, pour reprendre cet exemple, continue de se perfectionner, il faut que plusieurs “intelligences artificielles” rivalisent, se comparent, se défient.

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