Le Bénin a connu une série de succès économiques au cours des dernières années. En 2022, on estime que son taux de croissance atteindra 6,3 %, légèrement en deçà des 7,2 % enregistrés en 2021. Même en 2020, malgré les secousses provoquées par la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, le pays a maintenu un taux de croissance économique positif de 3,8 %. Cette performance a été remarquablement résiliente, faisant du Bénin l'un des rares pays à maintenir une croissance positive dans un contexte mondial difficile.
En 2022, le Bénin a été classé 3e sur 54 pays dans le classement Africa's Best Countries for Business 2022 du magazine Forbes. Dans le classement Africa's Best Countries for Business 2022, le Bénin a été félicité pour ses efforts dans les domaines suivants : la stabilité politique et la bonne gouvernance, le climat des affaires, la diversification de l'économie et les infrastructures. De plus, le Bénin a été classé 2e sur 54 pays dans le classement Africa's Best Countries for Startups 2022 du magazine Jeune Afrique.
Ces distinctions montrent que le Bénin s’est résolument engagé sur une voie de prospérité.
Une fois que l’on prend connaissance de ces données économiques positives, la question qui vient à l’esprit est : les Béninois bénéficient-ils des fruits de la croissance économique ?
Nous trouverons une réponse chez Afrobarometer. Afrobarometer est un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l'opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Depuis plusieurs années, il réalise des sondages sur le niveau de pauvreté vécue dans plusieurs pays dont le Bénin. Ci-après le graphique compilant les résultats pour le Bénin depuis 2011.
Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours - Napoléon Bonaparte.
Le graphique est suffisamment éloquent. Depuis 2011, le nombre de Béninois ayant un niveau de pauvreté vécue modéré ou élevé est en constante augmentation (de 51% en 2011 à 78% en 2022) avec une accélération depuis 2017. Il faut bien se rendre compte que ce que mesure Afrobarometer via la notion de pauvreté vécue est les besoins de base : est-ce que les Béninois manquent de nourriture, d’eau potable, de combustibles pour la cuisson des repas, de médicaments ou de soins médicaux. En somme, ce sont bien des besoins vitaux de subsistance dont une part importante des Béninois manque.
Diantre ! Pourquoi constatons-nous une divergence entre les données économiques positives qui font la Une des journaux et les sentiments plus négatifs du peuple béninois ?
Il y a deux réponses : une, évidente et l’autre un peu moins. Commençons par la dernière.
Ceux qui affirment que l'économie béninoise va bien citent généralement la croissance économique mesurée par le produit intérieur brut (PIB) ou d’autres indicateurs du même genre. Et bien qu'en surface, il semble logique d'utiliser ces indicateurs pour se faire une idée de la santé globale de l'économie, il y a un problème majeur. Aucun d'entre eux ne fait de distinction sérieuse entre l'activité économique privée et les dépenses publiques. Cependant, il existe une grande différence entre les deux. Le gouvernement, contrairement à toute autre entité de l'économie, peut simplement “confisquer” de l'argent et des ressources à d'autres 5via des impôts par exemple) pour dépenser sur des choses et embaucher des gens. Qu'il apporte ou non une valeur aux gens est sans importance. C'est le secteur privé qui est responsable de la production de biens et de services répondant réellement aux besoins et aux désirs des gens. Par conséquent, c’est le PIB du secteur privé qui a le plus d'effet sur le bien-être économique des gens. Soit le graphique suivant :
Source : Données BCEAO
L’on voit clairement que le PIB marchand du Bénin (la ligne orange) a clairement décroché vis-à-vis du PIB (la ligne bleue). Alors qu’entre 2007 et 2015, le PIB du secteur privé au Bénin avait à peu près la même croissance que le PIB, à partir de 2016, la tendance s’est inversée. Donc, le secteur privé de l'économie béninoise ne se porte pas aussi bien que pourrait le révéler le chiffre de la croissance du PIB. C’est pourquoi nous constatons une divergence entre les données économiques positives qui font la Une des journaux et les sentiments plus négatifs du peuple béninois. Ce n’est pas un mystère !
L’autre réponse, celle évidente, est bien sûr la question des inégalités.
L'indice de Gini, qui est une mesure de la répartition des richesses, a augmenté, au Bénin, de 0,4 à 0,43 entre 2016 et 2022. Cela signifie que la richesse est devenue plus concentrée dans les mains d'un petit nombre de personnes. En 2022, les 10 % les plus riches de la population béninoise possédaient 40 % de la richesse totale du pays. En comparaison, les 50 % les plus pauvres ne possédaient que 15 % de la richesse totale.
L’augmentation des inégalités ces dernières années au Bénin doit nous préoccuper. Elle risque de radicaliser les deux classes sociales qui composent le Bénin : les “somewhere” et les “anywhere”.
Thor Heyerdahl, anthropologue et navigateur norvégien, devenu internationalement célèbre en 1947 à la suite de l'expédition du Kon-Tiki, tentative de rallier les îles polynésiennes sur un radeau partant des côtes d'Amérique du Sud afin d'expliquer le peuplement de l'Océanie, a expliqué une distinction sociale qu’on note dans la tradition polynésienne. Cette distinction est celle entre les hommes des arbres et les hommes des bateaux qui est encore visible dans certaines régions de Polynésie, notamment en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et en Polynésie orientale. Les hommes des arbres sont des habitants des terres intérieures, qui vivent dans les forêts et les montagnes. Ils sont traditionnellement des agriculteurs, des éleveurs et des chasseurs-cueilleurs. Ils sont profondément attachés à la terre et à la nature. Les hommes des bateaux sont des habitants des côtes, qui vivent dans les villes et les ports. Ils sont associés à des valeurs plus modernes telles que l'ouverture sur le monde, le commerce et l'innovation. Dans le contexte actuel du Bénin, nous avons des données économiques qui reflètent la situation des hommes des bateaux. C’est pour cela que les résultats des sondages de Afrobarometer semblent être dissonants de la phraséologie économique officielle.
Prenons garde ! Agissons avant que les hommes des arbres puissent se révolter contre les hommes des bateaux.
Un extrait du recueil de poèmes "Les Châtiments" de Victor Hugo, publié en 1853 :
Oui, nous souffrons, mais quelle souffrance !
Si vous saviez comme on peut vivre !
L'homme est fait pour embellir
Ce que le sort vient lui décrire.
Sachez qu'en ce monde de pleurs,
Où les temps sont si redoutables,
La pauvreté tient par les cœurs
Et non pas par les êtres misérables