En sciences économiques, il est extrêmement difficile de faire des prédictions, car l’économie est un système incroyablement complexe. Complexe, car il y a des millions, des milliards de transactions de toutes sortes qui ont lieu chaque jour dans une économie et l’on ne peut prédire la volonté des humains qui échangent. De toute façon, si l’on pouvait prédire quoi que ce soit en économie, le socialisme marcherait. Or, on sait tous qu’il ne marche pas et qu'il conduit toujours au goulag. Autrement, l’ex-URSS serait la première puissance économique au monde, étant fondée sur le socialisme.
Toutefois, s’il est vrai que toute prédiction économique est un exercice périlleux, il est aussi vrai que le raisonnement aristotélicien (la logique, en somme) bien appliqué aux phénomènes économiques permet de dégager la direction que prendront les événements.
Fin 2019/Début 2020. La crise de la Covid-19 frappe le monde entier. Si l’Afrique a été relativement épargnée sur le plan purement sanitaire, la crise économique, fille de la crise sanitaire, a frappé durement le continent. J’ai écrit, à l’époque pour le site d’informations LSI AFRICA, que la Covid-19 va se transformer en PochVid-20 (entendre, poche vide). Il ne fallait pas être un génie pour anticiper une crise économique liée à la crise sanitaire. Face à cette crise, la question qui tue - que faut-il faire ? - s’était posée. La majorité des économistes sort du bois pour conseiller des plans de relance (évidemment financés par la dette car les taux d’intérêt étaient relativement bas, donc il fallait en profiter !). Les Etats africains ont commencé à appliquer ces prescriptions données par les Oints du Seigneur (comme dirait Thomas Sowell). J'ai décidé de faire un papier pour dénoncer les dangers liés à cette fausse bonne solution et pour expliquer que baigner nu peut être sympathique jusqu’à ce que la mer se retire et que tout le monde se rende compte de la supercherie. C’est ainsi que j’ai publié cette tribune sur Jeune Afrique. Voici un extrait :
Trois ans après, ce que je pointais à l’horizon est-il advenu ? La réponse est OUI.
La situation des dettes souveraines africaines s’est fortement dégradée. En 2022, la dette publique totale en Afrique subsaharienne s'élevait à 5 400 milliards de dollars US, soit environ 60 % du PIB de la région. Avant la pandémie de la Covid-19, la dette publique totale en Afrique subsaharienne s'élevait à 50% du PIB de la région (voir graphique suivant).
Ce niveau d'endettement est supérieur à celui de la plupart des autres régions en développement et représente une menace croissante pour la stabilité économique et financière du continent. Les pays africains les plus endettés sont le Nigeria, l'Égypte, le Kenya et l'Afrique du Sud. Ces pays ont tous des ratios d'endettement supérieurs à 80 % du PIB. Alors, d’aucuns pourraient s’écrier “La dette n’est pas un problème si elle sert à investir”. Et, c’est vrai. Mais, selon le rapport du FMI sur les perspectives économiques de l'Afrique subsaharienne publié en octobre 2023, les investissements publics en Afrique subsaharienne sont souvent mal ciblés, coûteux et inefficaces. Les pays de l’Afrique subsaharienne ont un écart d’efficacité moyen de la gestion des investissements publics de 40%. Il y a encore de la marge de progression !
Par ailleurs, entre 2010 et 2020, l'encours de la dette en Afrique a plus que doublé, et depuis 2020, de multiples crises, y compris la COVID-19, ont entraîné une hausse rapide des coûts d'emprunt et limité l'accès aux marchés internationaux de la dette. Les pays africains devraient dépenser environ 74 milliards de dollars pour le service de la dette en 2024, contre 17 milliards de dollars en 2010. En 2022, le service de la dette publique en Afrique subsaharienne s'élevait à 21,4 milliards de dollars, soit environ 3,6 % du PIB de la région. oici quelques exemples concrets de la hausse du coût du remboursement de la dette en Afrique :
En Égypte, le coût du service de la dette publique a augmenté de 120 % entre 2010 et 2022.
Au Ghana, le coût du service de la dette publique a augmenté de 80 % entre 2010 et 2022.
Au Kenya, le coût du service de la dette publique a augmenté de 60 % entre 2010 et 2022.
Par ailleurs, la hausse du coût du remboursement de la dette pose un risque croissant pour la viabilité des finances publiques des pays africains. Elle peut conduire à des difficultés de paiement de la dette, qui peuvent entraîner une crise de la dette. Trois pays africains ont récemment fait défaut sur leur dette : la Zambie, en novembre 2020, a été le premier pays africain à faire défaut sur sa dette depuis 2018, le Ghana, en janvier 2023, a été le deuxième pays africain à faire défaut sur sa dette et l'Éthiopie, en janvier 2024, a été le troisième pays africain à faire défaut sur sa dette. D'autres pays africains sont considérés comme étant en situation de risque de défaut de paiement, notamment le Nigéria, qui a un ratio d'endettement public de 35 % du PIB, l'Afrique du Sud, qui a un ratio d'endettement public de 79 % du PIB et le Kenya, qui a un ratio d'endettement public de 77 % du PIB.
Sur le graphique ci-dessus, on voit bien qu’il n’y a plus un seul pays africain ayant un risque faible de dérive de sa dette. Misère !
Après plus de 2 siècles de théorie économique, l’on continue à croire que c’est par la dette qu’on fait de la croissance économique. Depuis le 15ème siècle, l’on sait grâce à Erasme que “le meilleur et le plus innocent moyen dont un Prince puisse user pour augmenter ses trésors, c’est de faire peu de dépense”. Avec Ludwig von Mises, nous avons appris que "la dette publique est une bombe à retardement, car elle finira par exploser et causer des dommages économiques et sociaux considérables". Friedrich Hayek a élevé la question sur le plan philosophique en disant que "la dette publique est une injustice, car elle impose un fardeau aux générations futures". Nous savons tout ça. Et pourtant ! Parfois, cela me plonge dans un long moment de lassitude comparable, je présume, à celui de Paul Verlaine quand il écrivait son poème “La morale” :
La morale est un fil d'araignée
Qu'on pose à tous les coins,
La moindre piqûre la brise,
Et l'on oublie qu'elle est là.
L'homme la connaît bien,
Il la connaît bien,
Et pourtant il pèche.
Il la tient
Dans la main droite,
Et pourtant il pèche.
Il la tient
Dans la main gauche,
Et pourtant il pèche.
PS : Bonne année 2024.