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Déficits jumeaux : Faute de vendre suffisamment, le Bénin se vend pour soutenir sa consommation

Déficits jumeaux : Faute de vendre suffisamment, le Bénin se vend pour soutenir sa consommation

La semaine dernière, j'ai eu l'honneur d'être invité par un groupe de réflexion parisien pour partager ma vision de l'économie béninoise. Lors de la séance des questions-réponses, un participant m'a posé une question directe : "Pouvez-vous résumer les défis auxquels l'économie béninoise est confrontée ?" J'ai répondu en ces termes : "Le problème fondamental de l'économie béninoise réside dans le décalage persistant entre la demande intérieure et l'offre nationale." À peine ma réponse formulée, les organisateurs furent contraints de clore la discussion, le temps imparti étant écoulé, et je n'ai donc pas pu approfondir ma réflexion. C'est dans cette optique que je souhaite dédier cette chronique à l'exploration plus poussée de ma réponse initiale.

 

Quand je dis que le problème fondamental de l'économie béninoise réside dans le décalage persistant entre la demande intérieure et l'offre nationale, je veux simplement dire que le Bénin fait face à une réalité économique préoccupante : celle des déficits jumeaux. En d’autres termes, le pays accumule simultanément un déficit budgétaire et un déficit de la balance des paiements courants, entraînant des conséquences profondes sur son développement. Si l'augmentation des flux d'investissements directs étrangers (IDE) est souvent perçue comme un gage d'attractivité, la réalité est tout autre. Le pays souffre d'une demande dépassant son offre nationale, entraînant une dépendance accrue à l'égard des importations, qu'il s'agisse de biens, de services ou de capitaux. Cette situation engendre un transfert de ressources financières à l’extérieur, faisant du Bénin un pays de plus en plus « détenu ». Expliquons tout ceci.

 

Ce que les économistes appellent les "déficits jumeaux", c’est un déficit budgétaire couplé à un déficit de la balance des paiements courants. Le déficit budgétaire se produit lorsque les dépenses du gouvernement dépassent ses revenus, entraînant un recours accru à l'emprunt pour financer ces lacunes. Le déficit de la balance des paiements courants indique que le pays importe plus de biens, de services et de capitaux qu'il n'en exporte. Au Bénin, ces deux aspects interagissent et sont couplés. Mieux, il y a une relation de père - déficit budgétaire - à fils - déficit extérieur. 

 

Que le lecteur veuille considérer le graphique suivant.

 

 

Que constate-t-on ? Eh bien, le déficit budgétaire du Bénin s'est intensifié ces dernières années, passant de 0,5% du PIB en 2019 à 4,3% en 2023. En réalité, depuis 2007, le Bénin n’a pas eu un seul budget en équilibre. Pas un seul ! Les prophètes du keynésianisme supportent cet état de choses en s’écriant : “Il faut bien financer le développement ! ”. Mais, ces gens oublient que le déficit d’aujourd’hui est l’impôt de demain. Et, il me plaît de rappeler cette merveilleuse phrase de Winston Churchill : “Nous soutenons qu'une nation qui essaie de prospérer par l'impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée.”. La vérité est que lorsque l'État emprunte pour financer des dépenses publiques non couvertes par les recettes fiscales, il détourne des ressources de leur utilisation optimale dans le secteur privé. Ce transfert de ressources est une entrave à l’efficacité économique et à l’innovation. En accumulant des déficits pour financer les dépenses courantes, le gouvernement laisse aux générations futures le fardeau de rembourser cette dette ; ce qui est moralement discutable. Sur le plan économique, l’accumulation des déficits budgétaires de l'État béninois créent une demande qui ne trouve pas une offre nationale en face. Cela crée une situation que résume le graphique suivant.

 

Source : BCEAO

 

On note que le déficit de la balance des paiements courants s'est également aggravé au fil des années, atteignant plus de 716 milliards en 2023. Cette dynamique est la conséquence de politiques publiques encourageant la consommation au détriment de l’épargne. Je rappelle que l’identité macroéconomique (S – I) + (T – G) = (X – M) établit un lien direct entre les comportements d’épargne et d’investissement d’une nation (S – I), ses finances publiques (T – G, impôts moins dépenses publiques), et sa balance des paiements courants (X – M, exportations moins importations). Lorsque la balance des paiements courants est en déficit, c’est-à-dire lorsque (X – M) est négatif comme dans le cas du Bénin, cela implique que le pays importe plus qu’il n’exporte. Ce déficit ne peut provenir que de deux sources principales : une insuffisance d’épargne nationale (S – I négatif) ou un excès de dépenses publiques (T – G négatif) ; ces deux sources sont deux faces de la même pièce. Par ailleurs, si le Bénin n’évoluait pas dans le cadre d’une union monétaire, sa monnaie se déprécierait à une vitesse alarmante. 

 

Le Bénin est aujourd'hui confronté à cette problématique complexe des "déficits jumeaux" : un déficit budgétaire couplé à un déficit de la balance des paiements courants. Cette situation crée un cercle vicieux qui menace la stabilité économique à long terme du pays. Une des conséquences de cette situation est que le Bénin est un pays de plus en plus détenu par l’extérieur. Comment cela se manifeste-t-il ?

 

Soit le graphique suivant.

 

Source : BCEAO

 

La position extérieure globale nette est un indicateur qui mesure la différence entre les avoirs qu’un pays détient à l’étranger et ses engagements envers les créanciers extérieurs. En d’autres termes, il s’agit de savoir si un pays est créancier ou débiteur net vis-à-vis du reste du monde. Dans le cas du Bénin, la position extérieure nette s’est détériorée au fil des ans, signe que le pays est de plus en plus détenu par l’extérieur. Entre 2010 et 2020, la position extérieure nette du Bénin est passée de -25 % du PIB à environ -40 % du PIB, ce qui signifie que la dette extérieure et les autres engagements financiers vis-à-vis de l’étranger ont fortement augmenté. 

 

Le Bénin se trouve à un moment charnière de son développement économique. Les déficits jumeaux et la détérioration de l'avoir extérieur net sont des symptômes d'une économie qui, paradoxalement, se vend pour financer sa consommation. La situation est grave mais... pas désespérée ! La lutte contre les déficits jumeaux doit être perçue comme un impératif national, non seulement pour éviter une situation de "pays détenu", mais également pour aspirer à un avenir dans lequel le Bénin peut revendiquer pleinement sa place dans le concert des nations.

 

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