Le Bénin a réalisé, ces dernières années, de belles performances économiques. En 2022, son taux de croissance est ainsi estimé à 6,3 %, contre 7,2 % en 2021. En 2020, malgré le choc provoqué par la crise sanitaro-économique du Covid-19, le Bénin fait partie des rares pays à afficher un taux de croissance économique positif. Cette dynamique est le résultat du déploiement de politiques économiques ambitieuses.
Mais, c’est dans les temps « faciles » qu’on néglige le précipice qu’il y a à l’horizon. Le but de cette livraison est de monter en épingle un abime qui guette l’économie béninoise.
Commençons par le paragraphe suivant tiré du conte “L’Homme aux quarante écus” de Voltaire publié en 1768.
“Pourquoi donc le monachisme a-t-il prévalu? parce que le gouvernement fut presque partout détestable et absurde depuis Constantin; parce que l'empire romain eut plus de moines que de soldats; parce qu'il y en avait cent mille dans la seule Egypte ; parce qu'ils étaient exempts de travail et de taxe; parce que les chefs des nations barbares qui détruisirent l'empire, s'étant faits chrétiens pour gouverner des chrétiens, exercèrent la plus horrible tyrannie ; parce qu'on se jetait en foule dans les cloîtres pour échapper aux fureurs de ces tyrans, et qu'on se plongeait dans un esclavage pour en éviter un autre; parce que les papes, en instituant tant d'ordres différents de fainéants sacrés, se firent autant de sujets dans les autres Etats; parce qu'un paysan aime mieux être appelé mon révérend père, et donner des bénédictions, que de conduire la charrue; parce qu'il ne sait pas que la charrue est plus noble que le froc; parce qu'il aime mieux vivre aux dépens des sots que par un travail honnête; enfin parce qu'il ne sait pas qu'en se faisant moine il se prépare des jours malheureux, tissus d'ennui et de repentir.”
On y voit clairement la laïcité militante voire l’anticléricalisme de Voltaire - mais, ce n’est pas ce que je veux que le lecteur souligne. Pour Voltaire, le froc (qui symbole l’Eglise) ignore les peines de la charrue et n’hésite pas à vivre d’une rente reposant sur une imposture. De nos jours, le froc c’est l’Etat, la charrue c’est le secteur privé. La question est : à quel point le froc vit-il aux dépens de la charrue ?
Examinons cette question pour le cas du Bénin.
Dans toutes les économies, la production peut être divisée en deux : ce qui est vendu sur le marché et ce qui est affecté par l'Etat. La partie de la production qui est vendue sur le marché est désignée comme la production marchande et celle qui est l'objet d'une affectation d'Etat, représente la production non marchande. Le secteur non marchand intègre les services publics (administrations publiques) qui sont évalués sur la base de leur coût soit, essentiellement, les salaires versés. L'économie marchande, quant à elle, intègre les biens et services marchands. La distinction secteur marchand/secteur non marchand conduit donc à dissocier le PIB marchand du PIB non marchand. Pour carricaturer, le secteur marchand c’est là où règne la main insible d’Adam Smith et le secteur non marchand, le coup de pied dans le derrière de Staline.
Que le lecteur considère le graphique suivant :
Le constat est sans appel : au Bénin, le secteur non marchand croit beaucoup plus vite que le secteur marchand. Donc, quand on lit dans la presse que le Bénin a fait x% de croissance, il faut avoir à l’idée que le secteur non marchand contribue plus à cette croissance que le secteur marchand. Après tout, est-ce grave, Docteur ?
Il convient de rappeler que les ressources financières du secteur non marchand proviennent directement (via les taxes) ou indirectement (via la dette qui n’est que des taxes futures) du secteur marchand. Donc, si le secteur non marchand croit plus vite que le secteur marchand, il y a trappe à la dette à l’horizon. Si l’entrepreneur béninois doit payer de plus en plus cher le « siège social Bénin », il risque de ne plus être compétitif, et l’Etat, avec lui. "Pauvres paysans, pauvre royaume; pauvre royaume, pauvre roi", célèbre formule de Quesnay.
Sans surprise, on voit que la dette publique totale du Bénin a une croissance supérieure à celle de la valeur ajoutée du secteur privé.
Un autre indicateur est l’effectif des agents du secteur public au Bénin. Il a augmenté de manière constante entre 2007 et 2022 passant de 125 600 à 151 100 agents publics. Chiffre impressionnant quand on anticipe que la digitalisation des grands systèmes de la Nation devrait conduire à une diminution du nombre de travailleurs dans le secteur public. Bref.
La véritable croissance économique ne vient pas de l’augmentation du poids de l’Etat dans l’économie (augmentation des impôts ou de la dette qui est un impôt futur). A cette occasion , je ne peux m’empêcher de citer cette merveille phrase de Winston Churchill : “Nous soutenons qu'une nation qui essaie de prospérer par l'impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée.”