Qu’il me soit permis de revenir dans ce billet sur une notion fondamentale : le capital. Les mots étant des étiquettes qu'on colle sur les choses, tâchons de désigner précisément ce que recouvre le mot "capital".
La notion de 'capital' se loge dans la différence qu'il y a entre la propriété et les droits de propriété. Quelle est cette différence ? Pensez à la différence entre une clôture et ce qu'elle entoure. La clôture représente les droits de propriété. Ce qui se trouve à l'intérieur de la clôture est la propriété. Quelqu'un qui possède une maison, possède un bien mais pas un capital. Ce sont les papiers formels exprimant que la maison lui appartient réellement qui représentent le capital. Cette nuance est importante, car la valeur de la richesse ne découle pas de la propriété. Elle découle des droits de propriété. Sans la protection qu'offrent les droits de propriété, n'importe qui peut utiliser votre propriété gratuitement. Et lorsque c'est gratuit, votre propriété n'a aucune valeur (monétaire). La richesse monétaire dépend donc des droits de propriété, et non de la propriété elle-même.
A cette étape, que le lecteur soit confus me paraît normal. Allons un peu plus loin dans l'explication. Pensons à l'exemple suivant. Un développeur informatique chevronné béninois crée un nouveau système d'exploitation. Ce système d'exploitation est considéré comme révolutionnaire, performant et est adopté par des millions de personnes à travers le monde. La question est la suivante : ce programmeur devient-il riche ? La réponse est : cela dépend des droits de propriété. Supposons que notre programmeur soit Bill Gates. Lorsqu'il a lancé MS-DOS (et plus tard Windows), Bill Gates a littéralement "clôturé" sa trouvaille avec les droits de propriété. Il a breveté son logiciel et fait payer son utilisation. Grâce à une série d'accords astucieux avec les fabricants, son entreprise, Microsoft, a fini par obtenir un quasi-monopole sur les systèmes d'exploitation pour les ordinateurs personnels. Et comme nous le savons tous, Bill Gates est devenu un homme riche et, par moment, était l'homme le plus riche de la planète. Le capital de Bill Gates réside dans les droits de propriété qui protègent ses inventions. Supposons maintenant que notre programmeur soit Linus Torvalds. Dans les années 1990, Torvalds a créé le système d'exploitation Linux. Il a publié Linux en tant que logiciel libre, ce qui signifie que tout le monde peut l'utiliser gratuitement. Comme Torvalds n'a pas appliqué les droits de propriété, il ne s'est pas enrichi comme Bill Gates (il n’est pas à plaindre, soit dit en passant).
La leçon à retenir est que sans droits de propriété, les biens et les services n'ont pas de prix. Et sans prix, ils ne sont pas considérés comme de la "richesse". Le capital se forme à travers le miracle insaisissable des droits de propriété. Et c'est précisément cette nature du capital qui fait que ce dernier se forme rarement en Afrique. L'Afrique est riche de biens mais pas de capital. Cela ramène à la question de l'économiste péruvien Hernando de Soto : Le mystère du capital est le suivant : pourquoi triomphe-t-il en Occident et échoue-t-il partout ailleurs ? Est-ce à dire que les populations africaines ne sont pas assez entreprenantes ? Qu’elles ne partagent pas cet éthos typiquement protestant qui, selon Max Weber, a fait le succès du capitalisme en Occident ? C’est difficile à croire lorsqu’on voit, partout en Afrique, l’activité déployée par tous les petits entrepreneurs. D’où vient donc le problème ? De la difficulté qu’ont la majorité des africains de légaliser les biens qu’ils possèdent et les activités qu’ils exercent. La vérité est que la plupart des pays en Afrique possèdent déjà suffisamment de biens pour réussir le capitalisme. Mais, ces biens, ce sont des maisons construites sur des terrains sans titres de propriété clairs, non déclarés, des sociétés non déclarées aux responsabilités mal définies, des industries créées à l’abri des regards des financiers et des entrepreneurs. Faute de documents désignant nettement les propriétaires de ces biens, ces possessions ne peuvent être directement transformées en capital, elles ne peuvent être vendues en dehors de petits cercles locaux où les gens se connaissent et se font mutuellement confiance, elles ne peuvent servir à garantir des emprunts, elles ne peuvent servir d’apport en nature lors d’un investissement. En Occident, en revanche, chaque parcelle de terrain, chaque bâtiment, chaque machine, chaque entreprise, chaque stock est représenté par un titre de propriété qui est la "magie" liant tous ces biens au reste de l'économie. Grâce à ce processus de représentation juridique, les biens peuvent mener une vie invisible à côté de leur existence matérielle. Ils peuvent être utilisés pour garantir un crédit par exemple.
Donc, le drame de l'Afrique, c'est d'être en marge du capitalisme.
Sans un système légal gérant les droits de propriété, pas de capital. La difficulté réside en ce que le capital est mal compris, car intangible. L’homme a inventé l’horloge, le calendrier pour rendre tangible le temps ; la notation musicale pour rendre tangible la musique ; le système juridique de droits de propriété pour donner vie au capital. Ce qui convertit un bien en capital, c'est le système légal de droits de propriété.
La mécompréhension du capital a des conséquences insoupçonnées et dramatiques sur le continent africain. Contrairement à des biens tangibles comme la terre ou les machines, le capital est une notion abstraite qui représente en quelque sorte la valeur future d'une activité ou d'un investissement. Cette abstraction rend difficile la compréhension du capital par les populations africaines, ce qui freine son développement. L'exemple de l'agriculture est particulièrement frappant. En Afrique, l'accès à la terre est souvent régi par des coutumes et des traditions locales qui ne garantissent pas la sécurité des droits de propriété. Cette situation décourage les investissements dans l'agriculture moderne et limite la productivité agricole. Sans des droits de propriété clairement définis et protégés par la loi, les individus sont moins incités à investir dans des activités productives, car ils craignent que leurs biens ne soient saisis ou usurpés sans recours légal. De plus, l'inadaptation du système juridique se traduit également par un manque de protection des droits des créanciers. En cas de défaut de paiement, les créanciers ont souvent du mal à recouvrer leurs créances, ce qui freine le développement du crédit et l'accès au financement pour les entrepreneurs. L'exemple du système bancaire est illustratif. Le manque de confiance dans le système juridique limite l'octroi de prêts aux entreprises et aux particuliers, ce qui freine la création d'emplois et la croissance économique.