Plus tôt cette semaine, j'ai eu l'occasion de présenter une communication à Cotonou sur les défis du développement en Afrique. Durant la séance, un participant m'a posé la question suivante : 'Monsieur Koboudé, qu'est-ce qui explique la pauvreté dans de nombreux pays africains ?'. Ma réponse a été simple : 'Rien, c'est l'état naturel de l'humanité'. J'ai pu percevoir sur son visage une certaine insatisfaction face à ma réponse. C'est pourquoi je me permets de la développer davantage dans ce billet.
Que le lecteur veuille considérer le graphique suivant :
Ce graphique montre l’évolution du PIB (ajusté de l’inflation) mondial depuis l’an 1. Que constate-t-on ? Eh bien, que l’aventure humaine est essentiellement caractérisée par une vie dans la pauvreté. Ceci m’amène à l’observation suivante. Lorsque l'on s'interroge sur les origines de la pauvreté, on adopte souvent une perspective qui pourrait sembler naturelle. En effet, la pauvreté semble omniprésente dans de nombreuses régions du monde, et il est facile de se demander pourquoi elle persiste. Cependant, cette question repose sur une hypothèse erronée, car la pauvreté n'est pas une anomalie à expliquer : elle est l'état de départ de l'humanité. En réalité, la pauvreté n'est pas un phénomène à expliquer, mais l'état initial de la condition humaine. Ce qui constitue véritablement une anomalie historique, c'est le développement et la création de richesse. En regardant le graphique ci-dessus, on constate que l’anomalie, c’est la partie exponentielle de la courbe. La question "D'où vient la pauvreté ?" est fréquemment posée, mais elle repose sur une prémisse fondamentalement erronée. Cette interrogation ne respecte pas les principes de l'épistémologie sociale, notamment celui de l'inversion explicative.
L'inversion explicative, concept clé pour comprendre les phénomènes sociaux, nous invite à recadrer notre perspective. C’est une approche méthodologique puissante en épistémologie sociale qui consiste à renverser la perspective traditionnelle sur un problème ou un phénomène. Cette méthode nous invite à examiner les questions sous un angle différent, souvent contre-intuitif, afin de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et les dynamiques complexes qui façonnent notre réalité sociale. L'inversion explicative repose sur les principes clés suivants : la remise en question des présupposés (elle nous pousse à interroger nos hypothèses de base et nos croyances établies), le changement de perspective (elle nous encourage à aborder les problèmes sous un angle nouveau et souvent inattendu) et la focalisation sur les anomalies (au lieu d'expliquer ce qui semble "normal", elle nous invite à comprendre ce qui est véritablement exceptionnel). Comme mentionné précédemment, l'exemple classique de l'inversion explicative en économie est la question de la richesse et de la pauvreté. Au lieu de demander "Pourquoi certains pays sont-ils pauvres ?", nous devrions nous interroger sur "Comment certains pays sont-ils devenus riches ?". Cette approche nous permet de mieux comprendre les mécanismes de création de richesse et de développement économique. En psychologie, au lieu de se demander "Pourquoi certaines personnes souffrent-elles de dépression ?", l'inversion explicative nous inciterait à explorer "Comment certaines personnes maintiennent-elles une bonne santé mentale malgré l'adversité ?". Cette approche pourrait révéler des mécanismes de résilience et des stratégies de coping efficaces. Dans le domaine de l'éducation, plutôt que de se concentrer sur "Pourquoi certains élèves échouent-ils ?", l'inversion explicative nous pousserait à examiner "Comment certains élèves réussissent-ils malgré des conditions défavorables ?". Cette perspective peut mettre en lumière des pratiques pédagogiques innovantes et des facteurs de réussite souvent négligés. Au lieu de se demander "Pourquoi certaines entreprises échouent-elles ?", on pourrait explorer "Comment certaines entreprises réussissent-elles à s'adapter et à prospérer dans des environnements changeants ?" Au lieu de se demander "Pourquoi les conflits internationaux persistent-ils ?", on pourrait explorer "Comment certaines régions parviennent-elles à maintenir la paix et la coopération malgré des tensions historiques ?". Supposons que vous vouliez améliorer l'innovation dans votre organisation. En pensant de manière classique, vous réfléchiriez à toutes les actions possibles pour encourager l'innovation. Si vous abordez le problème par la méthode d’analyse de l’inversion explicative, vous réfléchiriez à toutes les choses qui pourraient décourager l'innovation. Idéalement, vous éviteriez ces comportements. Ça paraît simple, non ? Un autre exemple : au lieu de réfléchir à ce qui fait une vie réussie, vous pourriez penser aux actions qui garantiraient une existence misérable.
L’on comprend donc l'importance de poser les bonnes questions pour comprendre le monde. De nombreuses tentatives ont été faites pour éradiquer la pauvreté, qu’il s’agisse de politiques d'aide internationale, de programmes de redistribution ou d'interventions étatiques massives. Cependant, ces approches ont souvent échoué à produire des résultats durables, car elles ne s'attaquent pas à la véritable question : comment créer un cadre propice à la création de richesse ? En cherchant à résoudre le « problème de la pauvreté », ces politiques ne font que traiter les symptômes sans aborder les causes profondes du sous-développement. Il est nécessaire de passer "Pourquoi certains pays sont-ils pauvres ?" à "Comment certains pays sont-ils devenus riches ?". Concernant cette dernière question, l’histoire économique nous livre des enseignements utiles.
Pour Ludwig von Mises, la clé du développement réside dans l’action humaine et le cadre institutionnel qui permet aux individus d’innover, de créer et d'échanger librement. Dans L'Action humaine, il souligne que c'est grâce à l'entrepreneuriat et au marché libre que la richesse est générée. La création de richesse est le résultat des choix individuels qui s’inscrivent dans un contexte d’incitations économiques appropriées. Si nous prenons la pauvreté comme un point de départ normal, nous comprenons que la véritable question est celle de la transformation : comment certaines sociétés ont-elles réussi à créer les conditions propices à l’émergence de la prospérité ?
Per Bylund, dans la continuité de cette pensée, soutient que la création de richesse repose sur deux éléments essentiels : l'accumulation de capital et la spécialisation productive. Il explique que l'entrepreneuriat est au cœur de ce processus, car les entrepreneurs identifient des opportunités, rassemblent des ressources et créent de nouvelles combinaisons qui génèrent de la valeur. Un des points essentiels mis en avant par von Mises et Bylund est le rôle des institutions dans la création de richesse. Les institutions, au sens large – droits de propriété, marchés libres, sécurité juridique – sont les fondements sur lesquels reposent les économies prospères. L'absence de telles institutions explique en grande partie la persistance de la pauvreté dans de nombreuses régions du monde.
Cela ne signifie pas que la pauvreté a une « cause » isolée, mais plutôt que la richesse n’a pu émerger que dans les sociétés qui ont mis en place des institutions permettant aux individus d’exploiter leurs talents et de coopérer à grande échelle. Ainsi, poser la question de l'origine de la pauvreté revient à négliger la complexité des processus qui permettent à une société de s'enrichir. La pauvreté n'est pas une maladie à éradiquer - c’est, l’état naturel de la condition humaine -, mais un état que l’on transcende par la création d’un environnement favorable à la prospérité.