Le Bénin est à un tournant décisif de son développement économique. Alors que le pays cherche à accélérer sa croissance, attirer les investissements étrangers et encourager l’entrepreneuriat local, une réflexion audacieuse s’impose sur la fiscalité, souvent perçue comme un frein à l’expansion des entreprises. Dans un monde où l’innovation et l’entrepreneuriat dictent le dynamisme économique, le Bénin a l’opportunité de faire un pari audacieux : supprimer l’impôt sur les sociétés (IS). Voilà l’idée que je veux défendre dans ce billet. Loin d’être une utopie, cette réforme pourrait transformer le paysage économique national en libérant les énergies entrepreneuriales et en positionnant le Bénin comme un modèle de compétitivité en Afrique. Mais, ce choix radical est-il possible ? Dit autrement, la question essentielle est : comment compenser les recettes fiscales perdues en cas de suppression de l’impôt sur les sociétés ?
D’abord, la dimension philosophique de ma proposition. Nous savons depuis Jean-Baptiste Say, économiste et philosophe, que les entrepreneurs sont les vrais créateurs de richesse. Dès lors, pourquoi pénaliser cette création par un prélèvement qui, en dernière analyse, freine l’investissement, limite l’innovation et dissuade les acteurs économiques d’explorer de nouvelles opportunités ? Cette question, bien qu’économique dans son apparence, est profondément philosophique. Elle soulève le paradoxe d’un État qui, en cherchant à financer le bien commun, nuit parfois à ceux qui produisent les ressources nécessaires à ce bien commun. L’impôt sur les sociétés, en intervenant directement dans le cycle économique des entreprises, devient ainsi un symbole des limites de la fiscalité traditionnelle. Il illustre comment une taxation mal conçue peut non seulement créer des distorsions économiques, mais aussi saper les fondements mêmes d’une société basée sur l’effort, le mérite et la liberté. Plus qu’un frein à l’investissement, il est une atteinte à l’idée que la richesse, lorsqu’elle est créée par l’ingéniosité humaine, doit être encouragée, non entravée. D’ailleurs, quand l’impôt sur les sociétés a été introduit pour la première fois en 1909 aux Etats-Unis, le taux initial était de 1 % sur les bénéfices dépassant 5 000 dollars tant l’on reconnaissait la nuisance que porte cette taxe.
Repenser cette taxe, voire la supprimer, n’est donc pas uniquement une question de pragmatisme économique. C’est un acte philosophique selon lequel la société béninoise choisit de valoriser la créativité, l’effort et la liberté sur lesquels repose toute prospérité durable. Ce choix, bien que radical, s’inscrit dans une quête de justice économique et de reconnaissance de la centralité de l’entrepreneur dans la construction du bien commun. En tournant la page de l’impôt sur les sociétés, le Bénin peut affirmer une nouvelle vision de la fiscalité, qui réconcilie l’éthique, la liberté et l’efficacité économique.
L’impôt sur les sociétés (IS), actuellement fixé à un taux nominal de 30 %, est souvent considéré comme un obstacle majeur pour les entrepreneurs béninois. Cette taxe pèse directement sur les bénéfices des entreprises, réduisant leur capacité d’investissement, d’innovation et d’expansion. Pour un pays où l’entrepreneuriat est encore en quête de structuration, l’IS agit comme une entrave, dissuadant même certains investisseurs étrangers.
Mais, l’IS est important pour les caisses de l’État . Cet impôt représente actuellement environ 25 % des recettes fiscales totales du pays, soit grosso modo 250 milliards de FCFA par an. Bien que sa suppression permettrait de stimuler la création d’entreprises, d’attirer des investissements directs étrangers (IDE), de réduire l’économie informelle, de créer des emplois et d’accroître la compétitivité des entreprises béninoises, il est vrai que cette mesure soulève un défi majeur : comment compenser les 250 milliards de FCFA que génère cet impôt, tout en préservant l’équilibre budgétaire de l’État ? C’est ici que les propositions de compensation peuvent varier d’une personne à une autre. Ci-après une proposition de compensation mais elle reste perfectible et les tentatives de chiffrage sont approximatives.
Pour compenser les recettes perdues, je propose ce qui suit. L’introduction d’une taxe sur la consommation de luxe, ciblant les véhicules haut de gamme, les produits importés de luxe, l’immobilier haut de gamme et les services de luxe, à un taux de 5%, pourrait générer 75 milliards de FCFA. Une taxe environnementale, axée sur les émissions de CO2, la consommation d’énergies fossiles et la production de déchets industriels, permettrait de mobiliser 50 milliards de FCFA supplémentaires de la façon suivante 2 500 FCFA par tonne de CO2 émis, 10 000 FCFA par tonne de déchets industriels et un taux de 3 % sur la valeur des énergies fossiles consommées. La réforme de la fiscalité foncière, avec une réévaluation des valeurs locatives et une modernisation du cadastre, pourrait quant à elle rapporter 60 milliards de FCFA. Par ailleurs, une taxe sur les transactions financières, à hauteur de 0,1 % sur les opérations boursières, les transactions de change et les produits dérivés, pourrait apporter 40 milliards de FCFA. Enfin, l’optimisation du recouvrement fiscal, grâce à la digitalisation des procédures, au renforcement des contrôles et à une meilleure sensibilisation au civisme fiscal, pourrait générer 25 milliards de FCFA. Ensemble, ces mesures compenseraient intégralement les 250 milliards de FCFA perdus avec la suppression de l’IS.
L’exercice de chiffrage ci-dessus est largement perfectible mais elle place un repère à l’horizon dont on peut s’inspirer. La mise en œuvre de cette réforme doit être progressive et structurée en plusieurs phases. Si elle est bien menée, les résultats économiques peuvent être gigantesques pour le Bénin. En faisant une simulation avec un modèle macroéconomique, la réforme de suppression de l’IS devrait entraîner une augmentation du PIB de 2,5 % à 3,5 % par an, la création de 50 000 emplois formels, une hausse des IDE de 40 % environ et une réduction de 25 % du secteur informel sur les cinq années après la réforme. Ces résultats contribueraient à transformer le Bénin en une économie plus dynamique, inclusive et compétitive. Il y a, d’ailleurs, un retour d'expérience internationale qui peut servir de boussole. L’expérience de pays comme l’Estonie et l’Irlande offre des enseignements précieux. En 2000, l’Estonie a réformé son système fiscal pour ne taxer que les bénéfices distribués, exonérant ceux réinvestis dans l’entreprise. Cette mesure a conduit à une augmentation de 30 % des investissements directs étrangers en cinq ans et à une croissance moyenne du PIB de 7,2 % sur les trois années suivant la réforme. De son côté, l’Irlande, avec un taux d’IS réduit à 12,5 %, a réussi à devenir un hub économique en Europe, attirant des multinationales et des capitaux étrangers. Ces exemples montrent qu’un régime fiscal attractif peut être un levier puissant de croissance. Le Bénin peut s’en inspirer pour concevoir un système fiscal compétitif tout en garantissant la soutenabilité des finances publiques.
La suppression de l’IS représente une opportunité unique pour le Bénin de redéfinir son modèle économique et fiscal. En libérant les entreprises de cette charge, le pays peut attirer davantage d’investissements, stimuler l’innovation et renforcer son rôle dans l’économie régionale. Avec des mécanismes de compensation bien conçus et une mise en œuvre méthodique, cette réforme peut devenir un modèle pour d’autres pays africains.