Depuis que l'humanité a quitté l'état de subsistance pour se structurer en sociétés, la question de la sécurité financière en fin de vie s'est posée. La parabole biblique d'Adam et Ève, condamnés à gagner leur pain à la sueur de leur front suite à leur bêtise dans le jardin d’Éden, illustre cette réalité : le travail est devenu synonyme de survie. Mais si le travail est la condition sine qua non pour subvenir à ses besoins, qu'en est-il de ceux qui, pour des raisons d'âge, de santé ou d'autres circonstances, ne peuvent plus exercer une activité professionnelle ? Historiquement, les sociétés ont développé divers mécanismes pour faire face à cette incertitude. L'épargne personnelle a longtemps été la solution privilégiée, mais elle soulève des interrogations : épargner dans quelle monnaie, dans quels actifs, et comment garantir que la valeur de ces actifs ne sera pas érodée par l'inflation ou les crises économiques ? Ces questions ont alimenté les débats sur la protection sociale depuis des siècles, conduisant à l'émergence de systèmes de retraite collectifs.
Dans le paysage économique et social du Bénin, comme dans de nombreux pays africains, le système de retraite par répartition occupe une place prépondérante. Le système de retraite par répartition repose sur un principe simple : les cotisations des actifs d'aujourd'hui financent les pensions des retraités actuels. Ce modèle, adopté par de nombreux pays après la Seconde Guerre mondiale, s'appuie sur une solidarité intergénérationnelle et un équilibre démographique supposé stable. Toutefois, le système de retraite par répartition au Bénin fait face à des défis majeurs qui menacent sa viabilité à long terme et pèsent lourdement sur les finances publiques du pays. D’abord, le déséquilibre démographique. Le ratio actifs/retraités se dégrade progressivement, passant de 7 actifs pour 1 retraité en 2000 à environ 4 pour 1 en 2020, selon les données de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie. Cette dégradation peut s’expliquer par trois éléments : l’augmentation de l’espérance de vie (selon les données de la Banque mondiale, l'espérance de vie au Bénin est passée de 59 ans en 2000 à environ 62 ans en 2020 ; cette progression signifie que les retraités perçoivent des pensions sur une période plus longue, augmentant ainsi les charges du système), la baisse du taux de natalité (bien que le Bénin conserve un taux de natalité relativement élevé, une tendance à la baisse est observée ; cela entraîne une diminution progressive du nombre de futurs cotisants) et la migration des jeunes (l'émigration de jeunes travailleurs vers d'autres pays en quête de meilleures opportunités réduit le bassin de cotisants nationaux). Par ailleurs, il n’y a pas que le défi démographique auquel doit faire face le système de retraite actuel du Bénin. Il y a également, le défi financier. Bien que les chiffres précis varient selon les sources, les estimations indiquent un déficit croissant du système de retraite. Le déficit annuel du système de retraite béninois était estimé à environ 15 milliards de FCFA en 2015. Ce déficit pourrait atteindre 50 milliards de FCFA d'ici à 2030 si aucune réforme n'est entreprise, selon les projections du Ministère du Travail et de la Fonction Publique. Le taux de remplacement moyen (rapport entre la pension et le dernier salaire) est d'environ 60%, ce qui est considéré comme élevé et difficilement soutenable à long terme. La subvention de l'État pour équilibrer le système de retraite est passée de 0,5% du PIB en 2010 à près de 1% du PIB en 2020. Cette situation limite la capacité du gouvernement à investir dans d'autres secteurs prioritaires comme l'éducation, la santé ou les infrastructures. De plus, le système de retraite actuel ne couvre qu'une fraction limitée de la population active. Moins de 10 % des travailleurs sont affiliés à un régime de retraite formel, laissant la majorité sans filet de sécurité pour leurs vieux jours. Enfin, ontologiquement, la retraite par répartition est un système de Ponzi. Ce n’est pas une opinion personnelle. C’est une donnée mathématique. Le lecteur curieux trouvera ICI ladite démonstration mathématique
Face à ces défis, une réforme en profondeur du système de retraite béninois apparaît nécessaire pour assurer sa pérennité et réduire la pression sur les finances publiques du pays. La transition vers un système de retraite par capitalisation apparaît comme une solution viable.
Le système de retraite par capitalisation repose sur un principe fondamentalement différent de celui de la répartition. Dans ce modèle, chaque travailleur épargne pour sa propre retraite, accumulant un capital qui sera investi et qui financera ses futures pensions. La transition vers un système par capitalisation pourrait offrir plusieurs avantages significatifs pour le Bénin : la mobilisation de l'épargne longue (le système par capitalisation permettrait de mobiliser une épargne de long terme, cruciale pour financer les investissements nécessaires au développement du pays), le développement d’un marché financier (l'afflux de capitaux stimulerait le développement des marchés financiers béninois, facilitant le financement des entreprises locales), la réduction de la dépendance aux financements extérieurs (en mobilisant l'épargne nationale, le Bénin pourrait réduire sa dépendance aux financements étrangers, renforçant ainsi sa souveraineté économique) et l’individualisation des pensions (chaque travailleur pourrait bénéficier directement de ses efforts d'épargne, ce qui pourrait encourager une plus grande participation au système formel). Selon une étude de la Banque Mondiale, les pays qui ont adopté des systèmes de retraite par capitalisation ont vu leur taux d'épargne national augmenter en moyenne de 2 à 3 points de pourcentage du PIB dans les années suivant la réforme. En adoptant un système de retraite par capitalisation, le Bénin pourrait mobiliser des ressources financières importantes pour son développement : le financement des infrastructures (les fonds de pension peuvent investir dans des projets d'infrastructures, améliorant ainsi la compétitivité du pays), la stimulation du secteur financier (le développement de fonds de pension encourage la sophistication du secteur financier, favorisant l'innovation et l'efficacité) et l’attraction des investissements étrangers (un système de retraite robuste et transparent peut renforcer la confiance des investisseurs étrangers). Toutefois, il faut être lucide sur un fait : la transition d'un système par répartition à un système par capitalisation implique des coûts significatifs. Le gouvernement doit continuer à financer les pensions des retraités actuels tout en permettant aux travailleurs actifs d'épargner pour leur propre retraite. Ce "double paiement" peut représenter un fardeau considérable pour les finances publiques à court terme. Néanmoins, une planification minutieuse permet de réussir cette transition. De plus, le Bénin ne sera pas le premier pays au monde à faire cette transition. Plusieurs pays ont réussi cette transition. Le Chili. Dans les années 1980, le Chili a réformé son système de retraite, passant à la capitalisation individuelle. Cette réforme a permis de développer les marchés financiers locaux et d'augmenter le taux d'épargne nationale. L'Australie. Avec le système de "Superannuation", l'Australie a mis en place un régime obligatoire de retraite par capitalisation, ce qui a contribué à faire du pays un des plus grands gestionnaires de fonds de pension au monde. Singapour. Le Central Provident Fund de Singapour est souvent cité comme un modèle de système par capitalisation. Il a joué un rôle crucial dans le financement du développement économique du pays. Le Ghana. Plus proche du contexte béninois, le Ghana a initié une réforme de son système de retraite en 2008, introduisant un système à trois piliers incluant une composante par capitalisation. Cette réforme a permis d'élargir la couverture du système et de stimuler l'épargne nationale. Voici ce que l'économiste ghanéen Kwame Pianim dit à ce sujet : "La réforme des retraites au Ghana a été un catalyseur pour notre développement économique. Elle a non seulement amélioré la sécurité financière de nos retraités, mais a aussi fourni les capitaux nécessaires pour financer nos infrastructures et nos industries."
Dans le cadre du Bénin, un basculement brutal peut être difficile à conduire tout en mettant les finances publiques sous pression. Pour cela, une approche par piliers doit être privilégiée pour faire une transition progressive. Par exemple, on pourrait passer à un système de retraite à trois piliers. Pilier 1 : Maintien d'une pension de base par répartition pour assurer un minimum de protection sociale. Pilier 2 : Introduction d'un système obligatoire par capitalisation pour les travailleurs du secteur formel. Pilier 3 : Encouragement de l'épargne-retraite volontaire par des incitations fiscales. Cette approche permettrait une transition progressive tout en maintenant un filet de sécurité social.
Le système de retraite par répartition au Bénin est confronté à des défis structurels qui menacent sa viabilité. La transition vers un système de capitalisation apparaît non seulement comme une nécessité pour assurer des retraites dignes aux futures générations, mais aussi comme une opportunité pour stimuler l'épargne nationale et financer le développement économique du pays.