Retour

Au-delà de l'économique : l'éthos de confiance au Bénin en question

https://www.flickr.com/photos/cnncba/2114389391/in/photolist-2qjsEt-4dQNiv-FXoS2R-GsJ6gm-GPMKsq-2mev66P-GPMJxj-F1hko9-GqaBSS-ExvUnv-GsyHbP-ELucCZ-EJKKJ5-Gw48xW-FC664o-GymtrX-FXUfQ8-F1t9kp-GLRFFc-GsyWiF-FvBrzw-GuA3MD-FVHW1Z-FTrhGf-GJwEuW-FN9xZu-FDrFu3-Fv5hk6-GJwBuh-FD4Xbp-EHs2ag-Gs9ord-FutRWb-FXoVk4-GePEqr-GsJd7q-Gynjhn-FLc4k1-GqaM9C-GuDtkV-FvByEd-GADpCK-GTjyaV-Gszbx2-FBUntG-FufiH7-GymK6H-GrN73v-FBfifH/

Petite histoire pour commencer. 

 

Un homme sous un lampadaire cherchait ses clefs .

Un passant le voyant faire se mit à chercher avec lui .

Au bout d'un bon moment , ce dernier convaincu que les clefs ne se trouvaient pas à cet endroit , lui demanda :

-Êtes-vous certain de les avoir perdues ici ?

-Non ! Répondit l'homme.

-Alors , pourquoi les chercher ici , plutôt que dans le secteur où vous les avez perdues ?  demanda-t-il encore .

-C'est que là où je les ai perdues il fait noir, et que je n'y vois rien....alors qu'ici il y a de la lumière et on y voit bien!

 

Moralité : On cherche toujours là où il y a de la lumière, là où on connaît déjà, alors que ce que l’on cherche se trouve là où on ne connait pas, sinon on l’aurait déjà trouvé. 

Le prolongement sur le plan économique de cette moralité est que l’on a tendance, pour impulser le développement économique, à chercher des réformes purement économiques, voire comptables. Cela ressemble à la situation des médecins de Molière répétant : “Le poumon vous dis-je, le poumon !”  À problème économique, solution économique. Vraiment ? Et si la réforme économique principale dont a besoin le Bénin est une réforme précisément non économique ?

 

Commençons par quelques trouvailles qui m’ont frappé. 

 

Stephanie I. Anderson Morales a conduit une enquête sur l’environnement entrepreneurial au Bénin il y a quelques années. Deux questions sur la confiance interpersonnelle ont été posées lors de ladite enquête. La première demandait si « d'une manière générale, pensez-vous que l'on peut faire confiance aux gens ou qu'il faut leur accorder une attention particulière ? »  77% des personnes interrogées ont répondu que l'on peut faire confiance aux gens et 23% des sondés ont répondu qu'il est nécessaire de leur accorder une attention particulière.  La deuxième question était la suivante : « Pensez-vous qu'il est nécessaire de bien connaître une personne avant de faire des affaires ? » Les réponses obtenues sont intéressantes. Bien que 77% des gens aient répondu à la première question que l'on peut généralement faire confiance aux gens, seulement 36% des sondés ont affirmé qu'il n'était pas nécessaire de bien connaître une personne pour faire des affaires, ce qui montre que la confiance dans ces relations n'est généralement pas abondante. 64 % des sondés ont exprimé qu'il était nécessaire de bien connaître une personne pour faire des affaires. Ce dernier point fait écho à un sondage réalisé en 2022 par Afrobarometer. L’on découvre dans ce sondage que 58% des entrepreneurs béninois estiment que leurs biens sont peu ou pas du tout protégés contre les saisies arbitraires. De plus, seulement 33% des Béninois pensent que le système judiciaire traite tous les citoyens de manière impartiale.

Il y a une conclusion parfaitement claire à tirer des faits évoqués ci-dessus : la société béninoise n’est donc pas une société de confiance ; elle est même une société de défiance. Une fois cette conclusion posée, la question est : est-ce grave, Docteur ? La réponse est : OUI.

La confiance est un élément fondamental pour la croissance économique. En 1974, le prix Nobel d’économie Kenneth J. Arrow affirmait : « pratiquement toutes les relations commerciales contiennent un élément de confiance », avant d’ajouter « on peut raisonnablement avancer qu’une grande part du retard économique constaté dans le monde peut s’expliquer par un manque de confiance mutuelle » (Arrow, 1974). Il indiquait que « la confiance est un ‘lubrifiant’ important du système social ; elle est extrêmement efficiente ; elle évite de se donner la peine d’avoir à apprécier le crédit que l’on peut accorder à la parole des autres. Malheureusement, ce n’est pas une marchandise que l’on peut facilement acheter ». Dans son essai "La Société de confiance" publié en 1995, Alain Peyrefitte développe l'idée que la prospérité économique des nations ne découle pas uniquement de facteurs matériels tels que le capital, la main-d'œuvre, les ressources naturelles ou le climat. Selon Peyrefitte, un élément crucial qui distingue les sociétés prospères des autres est la présence d'un éthos de confiance compétitive. 

Les éléments clés de l'éthos de confiance compétitive, selon Peyrefitte, incluent :

  • La confiance dans les institutions : Les citoyens font confiance aux institutions publiques, telles que le système judiciaire, les forces de l'ordre et l'administration, pour faire respecter les règles et les contrats de manière équitable et impartiale.

  • La confiance dans les entreprises : Les consommateurs et les investisseurs font confiance aux entreprises pour fournir des produits et des services de qualité, agir de manière éthique et respecter leurs engagements.

  • La confiance entre les individus : Les individus sont prêts à coopérer les uns avec les autres, même avec des étrangers, sur la base de la bonne foi et du respect mutuel.

 

Et, une question : pourquoi l’éthos de confiance compétitive est-il absent au Bénin ?

Il y a, sans doute, plusieurs raisons qui pourraient l’expliquer. Il y en a une qui me paraît fondamentale et est liée à l’histoire du Bénin. Délimité à l'est et à l'ouest à la suite des arrangements franco-anglais (11 août 1889) et franco-allemands (27 juillet 1897) de la fin du siècle dernier, le Bénin est, plus encore que d'autres pays d'Afrique, une construction artificielle dont les frontières coupent en deux à peu près partout les ethnies. Ainsi, l’on se retrouve sur un même espace avec une dizaine de proto-États (qui ont dépassé le stade de confédérations tribales et tendaient vers une structure étatique) à unifier. La colonisation qui a créé ce que l’on appelle “ État béninois” n’a pas eu comme souci d’homogénéiser les genres de vie à l’intérieur de l’espace appelé aujourd’hui Bénin. Depuis l’indépendance du Bénin, par quelques politiques publiques, les différents dirigeants ont œuvré à la construction de la Nation béninoise.  

La réforme non économique dont a besoin le Bénin pour son développement économique, c’est unifier le peuple béninois pour instaurer, par là-même, un éthos de confiance compétitive (triple confiance - dans les institutions, dans les entreprises et entre les individus). Par quel moyen ? La question est difficile, mais elle n’est pas nouvelle. Le concile de Nicée, organisé par l’Empereur Constantin en 325 pour résoudre les querelles religieuses du monde Chrétien, se la posait déjà. La réponse trouvée est encore d’actualité. En 325 après J.-C., l'empereur Constantin Ier a convoqué les évêques de tout l'Empire romain au premier concile œcuménique à Nicée (aujourd'hui İznik, en Turquie). Ce concile, qui s'est déroulé du 20 mai au 25 juillet, avait pour objectif principal de régler les divisions théologiques et ecclésiastiques qui menaçaient l'unité de l'Église chrétienne naissante. Le concile de Nicée a condamné l'arianisme et a adopté le Crédo de Nicée, une déclaration officielle de la foi chrétienne qui a uni les divers peuples de l’Empire sous une seule foi. 

La leçon est la suivante : l’unification d’un peuple ou d’un collectif (au sens large) se fait au moyen de croyances partagées. Après tout, qu’est-ce qu’une nation ? Il nous faut, ici, convoquer Ernest Renan qui a donné une explication satisfaisante, me semble-t-il, de la nation. La nation, c’est deux choses. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis

Et, nous voilà devant la tâche perpétuelle de la vie d’un pays.

Retour
Made with
Paramètres des cookies
Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience de navigation sur le site. En cliquant sur accepter, vous consentez à l'utilisation de tous les cookies.

Paramètres des cookies

Nous utilisons des cookies pour améliorer l'expérience utilisateur. Choisissez les catégories de cookies que vous nous autorisez à utiliser. Vous pouvez en savoir plus à propos de notre politique en matière de cookies en cliquant sur Politique en matière de cookies ci-dessous.

Ces cookies activent les cookies strictement nécessaires pour la sécurité, la prise en charge de la langue et la vérification de l'identité. Ces cookies ne peuvent pas être désactivés.

Ces cookies collectent des données afin de mémoriser les choix d'utilisateurs et permettent d'améliorer l'expérience utilisateur.

Ces cookies nous aident à comprendre comment les visiteurs interagissent avec notre site Web, nous aident à mesurer et à analyser le trafic pour améliorer notre service.

Ces cookies nous aident à mieux diffuser du contenu marketing et des publicités personnalisées.